Fragment #11 - Le dormeur du Val

Je sens la lumière qui effleure mes paupières. J’hésite à les ouvrir, je n’ai pas envie que la journée commence. Je n’ai pas envie que ma vie se poursuive, rien ne m’attend. Je me retourne, pour changer de position, lorsque mon pied effleure une jambe. Une interrogation monte en moi, aussitôt étouffée par les souvenirs de la veille. J’ouvre lentement les yeux. Ma vue s’adapte petit à petit à la clarté de cette journée. J’observe et admire l’inconnu endormi, ce jeune homme assoupi.
Parfaitement détendu, son sommeil semble léger. Ses cheveux bruns s’étalent autour de sa tête, auréole d’ange ténébreux, ses longs cils accentuant la délicatesse de son nez, et sa bouche, légèrement entrouverte, d’où s’échappe un soupir à chaque respiration. La mâchoire est carrée, donnant à ce visage androgyne une masculinité frappante.
Je me lève doucement, tout doucement, pour ne pas éveiller mon dormeur du val. Je commande un petit déjeuner complet pour deux, accompagné de croissants et de pains au chocolat.
Je m’assois dans le fauteuil, près du lit, observant cet inconnu sans me lasser, fasciné par l’abandon de ses traits, par la paix qui en émane.
Son prénom me revient lentement : Roman. Joli prénom, plein de douceur et de calme, pour un joli garçon.
Il est treize heure, je ne sais si je dois l’éveiller. Comment mettre fin à ce plaisir ?
Il se retourne dans le lit, sûrement gêné par la lumière.
Ses yeux s’ouvrent et se fixent dans les miens, des yeux noisettes ; c’est comme si le monde s’arrêtait, comme si le temps se figeait, comme si l’univers retenait son souffle suite au premier regard d’un être conscient sur le monde,
Nous nous regardons longuement, en silence, lui dans le lit et moi assis. Sans rien dire, toute parole inutile, superflue. Je n’ose interrompre ces minutes au parfum d’éternité.
Finalement, je lui souris et me lève, me dirigeant vers la table roulante surchargée et lui demande, la voix quelque peu enrouée, mettant fin à ce silence ambiguë :
- Thé ou café ?