Fragment #28 - Un baiser

Il est venu à Paris pour passer le jour de l'An avec moi. Je suis allée le chercher à la gare du Nord, et, comme nous n'avions rien de prévu en particulier, nos pas nous ont mené dans ce quartier qui est un peu le nôtre : Montmartre. Là où nous avons aimé nous promener pour prendre des photos et filmer quelques gestes, quelques ombres de passage. Je n'ose pas le regarder. Mon sang bout dans ma poitrine et va et vient dans tout mon corps en pulsant, surexcité.
Je n'en reviens pas. J'ai un petit ami, et pourtant je me suis fait belle pour lui, pour ce presque inconnu avec qui je vois mourir l'année 2008 et naître 2009. Arrivés au Sacré Coeur, nous contemplons Paris. Minuit, l'instant où tout le monde crie et s'exclame, a été insignifiant. Ce moment, tout à coup, plus dense, plus palpable -aux alentour de... je ne sais pas, une heure trente ? impossible de dire depuis combien de temps nous marchons côte à côte- est cent fois plus fort encore.
Stressée, je relance Damien, pour la deuxième fois de la soirée, sur le sujet qui me fait trembler :
« J'aimerais quand même revenir sur cette histoire de flirt, quitte à passer pour la chiante de service... »
Il se tait un peu, puis répond :
« Je ne sais pas Laura... C'est...
- Non mais parce que si c'est un flirt, on devrait faire des choses comme se tenir la main ou s'embrasser, non ? 
« Tu crois ? demande-t-il en plantant ses beaux yeux fragiles dans les miens.
- Je sais pas, c'est juste une question que je me pose. Si j'écrivais le scénario de ce film là, je ferais en sorte que les personnages se rapprochent un peu, quand même. Ils peuvent pas rester des mois comme ça sans oser se dire les choses, tu vois.
- Ca tient debout... Ils feraient quoi alors pour avancer ? Je veux dire dans ton scénario. »
Ne réfléchis pas, Laura. Fonce. Sois la fille forte que tu as toujours aimé être, provoque le destin. N'attend pas que les choses viennent à toi, et va à elles.
Je prends sa main, d'un mouvement un peu brusque. Il ne retire pas la sienne, me tire un peu à lui.
Nous marchons un moment, sans rien dire, nos doigts se serrant un peu plus, avec régularité, comme un langage secret, sans règles.
« Je te plais, Damien ?
- Oui. Beaucoup. »
Je lui plais. Il vient de le dire. Mais alors... pourquoi aujourd'hui ? Pourquoi est-ce qu'il ne s'est rien passé jusqu'à maintenant ? Pourquoi avons-nous mis tant de temps à nous l'avouer ?
« C'est bizarre.
- Tu as quelqu'un Laura... Et je ne suis pas... Enfin...
- Tu n'es pas ?
- Je ne suis peut-être pas quelqu'un de bien pour toi.
- Ca c'est LA phrase à ne pas me dire, Damien... »
Il hausse les sourcils, sans rien répondre.
« Ca excite trop ma curiosité, en fait.
- Tu risquerais d'être déçue.
- Ok. Tu veux bien m'embrasser quand même ?
- Laura...
- Je crois que j'aime les garçons dans ton genre, Damien. »
Sans réfléchir. Mes mains attrapent son col et font ployer Damien vers moi, son visage sur mes lèvres. Et je sens la texture douce de sa bouche épouser la mienne, furtivement, car aussitôt, Damien se dérobe.
« Et je crois que je t'aime bien, toi, Laura Firent. »
Sur ce, il se penche sur moi, délicatement, et m'embrasse. Je découvre la chaleur de son baiser, et mon corps, enivré, s'envole.