Fragment #1 – La nausée

Je sens que je vais vomir. Il y a des vagues acides qui remontent depuis mon estomac jusqu'à ma bouche, qui l'envahissent, font frémir ma langue et mes papilles. Nausée. Mon ventre est barbouillé, mon visage pâlit. Je sens que j'ai des vertiges, la tête me tourne de plus en plus. Et les remontées sont de plus en plus fortes et rapides. Ravale, Maya, ravale. Ne vomis pas. Tu ne dois pas vomir. Il ne faut pas. Pas maintenant. Je les regarde mais leur visage se brouille, puis redevient net, puis se brouille à nouveau. Ravale, ne vomis pas, pas maintenant.
Et puis c'est tout à coup intenable. Mon corps se plie en avant, mon œsophage s'ouvre en grand et le vomi remonte depuis mon estomac en raclant les parois de ma gorge, avant d'être expulsé sur le sol. Un goût âcre de bile puante se déverse dans ma bouche. J'ai du mal à respirer, j'ai la trachée en feu. Est-ce que c'est bon ? Est-ce que c'est fini ? Malgré moi, j'inspire, et l'odeur pestilentielle du liquide gastrique envahit mes bronches, et un sursaut nauséeux relance le vomi à nouveau. Une fois encore, ma gorge s'ouvre pour laisser sortir, dans un bruit tonitruant d'éructation, la gerbe de mon corps.
Je suis tombée à quatre pattes sur le sol, courbée par la douleur. Devant moi s'étale une flaque jaunâtre dans laquelle on distingue des morceaux semi-digérés de mon dernier repas. Je hais notre condition organique et désespérément pathétique. Je hais ces relents incontrôlable de l'animalité en nous.
« Eh bien, eh bien, Maya, il faut se reprendre, ma chérie. »
Ferme ta gueule, Claire. Je ne suis pas ta chérie. Je suis le pire des monstres, à un point que tu n'imagines pas. Ni toi ni Marc ne pouvez m'égaler au sommet de ma perversion.
« On va appeler quelqu'un pour nettoyer ça. »
Marc appuie sur un petit bouton, du bout de l'index, sur son bureau, confortablement installé dans un grand fauteuil de cuir, et un type entre pour laver le plancher. Je m'essuie la bouche avec ma main, et Claire, apercevant mon geste, me tend un mouchoir en réprimant une grimace de dégoût.
C'est l'odeur de la gerbe qui te dégoûte, Claire ? Ma pauvre, si tu savais ce qu'il y a en dedans, tu ne serais pas dégoûtée, non, tu mourrais sur place, tétanisée. C'est épouvantable, à l'intérieur de ma tête, ce palais des horreurs que j'ai confectionné, ces créatures de cires et ces idées suintantes. Je suis le pire des monstres que vous ayez à votre disposition, et vous ne le savez même pas.
Marc se sert un verre de whisky. Claire lui lance un regard réprobateur. Il est là depuis peu, mais il fait déjà comme chez lui. Le précédent était comme ça, lui aussi. On sait comment ça s'est fini.
« Thomas a été parfait, vraiment, mais ce qui me taraude, c'est que nous n'avons plus de nouvelles de Virginie depuis hier... »
Non, pas encore. Je ne veux plus entendre un mot de cette histoire. Mes tripes ne tiendront pas le coup. Savoir que je suis responsable me donne envie de dégueuler mon sang. Six litres d'hémoglobines à recracher sur le plancher de Marc Rozia. Une grosse tache écarlate à nettoyer à la main. Rouge culpabilité.
« Enfin, soupire Claire de Saint Simon, l'essentiel, c'est que Julian Mahogany soit mort, maintenant. »