Fragment #4 - Sudoku

« Et c'est parti pour deux semaines de calvaire...» pensé-je en machouillant mon stylo. Des heures de route à travers notre beau pays de France, à écouter ma mère s'extasier devant la beauté de tel ou tel bled et à supporter la musique pourrie de mon père, pour finalement débarquer dans la charmante ville de Trévignon, dans le Finistère. Nous ne sommes arrivés que depuis hier et déjà j'ai envie de repartir. Après avoir lâché mon dixième soupir de la journée, je me replonge dans ma grille de Sudoku. Oui, moi aussi j'ai été absorbée par le phénomène Sudoku. Pourtant, j' ai toujours détesté les modes. Parce que les gens aiment quelque chose, c'est à la mode, et parce que c'est à la mode, les gens l'aiment. Je ne veux pas rentrer dans ce cercle vicieux. J'ai réussi à échapper aux Pokémon, à Harry Potter et même aux marques de vêtement, et voilà que je me laisse avoir par un petit jeu sur papier venu du pays du soleil levant. Remplir des cases avec des numéros, a priori ça semble d'un intérêt plutôt limité. Et pourtant cela fait fureur. Je me demande combien de personnes font la même chose que moi en ce moment. Probablement des milliers. Des milliers de personnes qui jouent au même jeu que moi en même temps. En fait, ça a quelque chose de rassurant. Je ne suis pas toute seule. Je ne suis pas la seule à jouer au Sudoku. Je ne suis pas la seule à m' ennuyer en vacances. C'est peut être ça le pouvoir des modes: faire que les gens se retrouvent autour de quelque chose, nous montrer que nous sommes tous semblables. Oui, c' est vrai ça. Les autres sont comme moi. Ils ont des faiblesses et des problèmes, comme moi. Je ne suis pas seule. Je ne suis pas la seule à être allergique aux insectes, je ne suis pas la seule à arriver en retard au lycée, je ne suis pas la seule à ne pas avoir de petit copain, je ne suis pas la seule à avoir ces marques en bas du dos.