Fragment #10 - Nouvelle vie

16h. Il est temps d’aller chercher Emeline à l’école, faut que je me dépêche sinon je vais être en retard. Et ça c’est une des choses que je ne me permettrai jamais. Je dois tout à cette enfant de six ans. Je lui dois une vie, une existence, du bonheur, des souvenirs, des rencontres. J’enfile ma veste en cuir, devant le miroir j’ébouriffe mes cheveux. Constat physique s’impose, j’ai toujours une gueule de mec infréquentable. Mon visage mince, les yeux cernés, l’anneau à la lèvre, la veste en cuir, le jeans limé et déchiré. Les mères qui attendent devant l’école vont encore m’observer de bas en haut avec un regard noir. Se demander qui je suis, chuchoter entre elles et se dire que c’est une honte d’avoir cette allure. Qu’elles aillent toutes se faire foutre. D’ailleurs, du foutre elles en manquent, elles devraient peut être essayé d’en avoir plus souvent dans la bouche et la culotte. Pouffiasses de féministes bon chic bon genre qui élèvent leurs enfants seules parce que les hommes c’est que des ratés. Mes pensées me surprennent, le coté acide d’Emeline déteint sur moi on dirait. Qu’importe.

Je sors de l’appartement, monte la rue, d’un pas rapide je regarde cette nouvelle ville qu’est la mienne. Une rue propre, bordée d’arbres, une chapelle au carrefour je prends la direction du centre. Un magasin de vêtements pour bambins, une librairie, quelques maisons et voilà l’école. Cette école qui est ma destination primordiale depuis un peu moins d’un mois. Bâtiment en pierre bleue, assez basse, les poutres de la charpente apparente peintes en bleu ciel, la porte vert pomme et les fenêtres sur lesquelles des dessins d’enfants s’esquissent. Le parking est rempli, une vingtaine de femmes attendent devant malgré le froid. Elles me voient arriver et déjà le ton de leurs voix diminue. Deux minutes d’attente et les enfants sortent deux par deux, main dans la main. Une trentaine d’enfants, c’est une petite école. Arrive la petite blonde, tenant un gamin aux cheveux bruns et à la démarche assurée, sans doute l’héro de ses minidames. Elle me voit et lâche sa main, il a droit à un « ta main est dégueu, elle est humide, moite, ça me dégoute, dégage ». Le gamin ne répond rien, il la regarde avec ce mélange d’admiration et de haine, ce regard primitif qui mélange l’admiration et la haine, qu’on porte à ceux qui nous sont supérieurs. Elle vient près de moi en courant, s’essuie la main sur mon jeans.

-Salut Em’.
-Il pue. Et tu sais quoi ? Cette conne d’instit’ elle a mis dans mon journal ! Tout ça parce que j’ai tapé sur Quentin avec ma boite à tartines parce qu’il a dit qu’Amandine était grosse. Quel sale con, s’en prendre aux moches qui n’en peuvent rien. Ah oui, aussi, le vieux, celui qu’on doit aller voir pour l’entretien psychomachin, il m’a dit que j’avais les capacités pour sauter dans la classe au dessus. Il est nul, il louche, je ne sais jamais quand il me regarde. Moi j’aimerais bien sauter une classe, comme ça j’pourrai donner des ordres à Quentin et je ne serai plus obligée de le taper. De toute façon il aime bien les pokémons, il est vraiment nul lui aussi.
-C’est encore moi qui devrait parler à Genièvre c’est ça ?
-Tu comprends vite, mais faut attendre longtemps que la pièce tombe hein.
-Tu peux bien parler petite, moi je ne tâche pas ma jupe avec de l’encr…
-...Ta gueule, moi mes pantalons ne sont pas déchirés et c’est l’autre débile de Sandra qui m’en a renversé dessus d’abord.
-Comme tu veux blondasse, tu as du travail pour demain ?
-Non, j’ai tout fini pendant français, je savais déjà tout ce que le prof disait, un nigaud celui là, merde, tout le monde sait comment écrire dépendant quand même.
-Ca te dit d’aller s’manger une glace avant de retourner comme tu n’as rien à faire ?
-Si tu payes ça me va. Mais la triple boule avec petits bonbons c’est clair ! Ne fais pas ton radin. Puis comme ça je t’expliquerai quoi dire à Tata pour mon journal de classe.
-Tu vas encore me ruiner sale gamine ! Va pour la triple boule, mais tu me laisses gouter alors.
-Allez, on y va Charles, j’ai faim !

Et elle m’entraine avec elle…
Me tirant comme toujours. Ma sauveuse. Mon ange gardien pour qui je me bats, pour qu’elle ne souffre plus, pour qu’elle ait une vie normale. Pour qu’elle ait un restant de vie normale. Reste encore avec Emeline, je t’en prie.