Fragment #2 - Louisa

Son père referme la portière. Nos cœurs se serrent, je ne peux même pas distinguer son visage. Derrière ce rideau noir, presque opaque, je ne vois que sa fine silhouette, droite, comme bien enseignée. Je l'imagine déjà, remettant une mèche de cheveux en place, empêchant ses lèvres de trembler, trop fière de laisser paraître quoique ce soit. La voiture démarre avec ce bruit de moteur inoubliable, et je la regarde s'éloigner, vers cet endroit inconnu, d'où l'on veut être sûr de bien nous séparer. Après tout, de quel droit aurions-nous pu nous fréquenter? La bourgeoisie et la basse classe, enfant de grand entrepreneur et pauvre fille reniée par sa famille.
Je me détourne de ce nuage de poussières qu'avait laisser la voiture et pousse mes mains tremblantes bien au fond des poches de mon pantalon mangé par les mites. Quelle allure. Une vieille chemise blanche, tellement mise qu'elle semble grise, mes converses noires, les éternelles, trouées et salies par le temps et mon vieux jean délavé. Mes cheveux bouclés, en bataille, me donnait ce petit air d'innocence. Mon visage aux traits fins et mes cheveux trahissaient ma féminité. Car ni ma poitrine, quasi inexistante, ni mon attitude n'aurait pu laisser présager que, sous cet air dur, mon prénom se révélait être Louisa.

Je déambule seule, à travers les rues, mes pensées uniquement tournées vers Hannah. Son père, quel crétin celui-là. Pense-t-il que nous avoir séparées la guérira du Démon qui est en elle? Pitié. Qu'on lui ouvre les yeux. Où qu'elle aille je la retrouverai.
J'allume une cigarette, geste devenu automatique. Fumeuse, lesbienne, sans boulot sans famille. A peine de quoi vivre. Ce sont des raisons en plus d'éloigner Hannah de moi. Je rentre dans un grand immeuble, plutôt classe, balcon et vue sur le parc. J'arrive à la porte de mon ... appartement. Si on peut appeler ça ainsi. Je vis dans un grenier, un mini grenier. Pas chauffé, pas de toilette, pas de cuisine. Juste une pièce et un matelas étendu sur le sol. J'utilise les toilettes, la salle de bain et la cuisine du concierge qui a un faible pour moi. Ce vieux porc, je sais qu'il me reluque dans la salle de bain, rêvant à mes jambes écartées. Un jour, je devrais accomplir cette besogne, je le sais, sinon il me jettera. Vieux porc.