Fragment #9 - Au cabinet dentaire

Je marche d'un pas stressé en direction du bâtiment. Arrivée devant l'entrée, je m'arrête quelques instants pour observer la plaque dorée fixée sur le mur, à ma droite.

Docteur Pierre Lelièvre
Chirurgien dentiste

C'est bien ici. Après avoir lâché un long soupir, je prend mon courage à deux mains et appuie sur la sonnette. Quelques instants plus tard, un déclic me signale que la porte est déverrouillée. J'entre.
Tandis que je marche dans le hall en direction du cabinet dentaire, je sens le stress monter en moi. J'ai toujours détesté le dentiste. A chaque rendez-vous c'est un supplice pour moi. J'essaye de me rassurer en me disant que dans une heure je serai sortie d'ici, que dans une heure je pourrai me poser tranquillement devant la télévision, et oublier tout ça jusqu'à l'année prochaine.
Me voilà arrivée au secrétariat. Après avoir décliné mon identité auprès d'une charmante jeune femme, je rejoins la salle d'attente sur invitation de cette dernière.
J'entre et m'installe sans attendre sur un siège libre. Il y a quatre autres personnes dans la salle.
A ma gauche, à quelques sièges d'intervalle, se trouve une femme d'une cinquantaine d'années. Les bras croisés, elle fixe d'un air absent le mur opposé. En face, il y a un jeune homme d'à peu près mon âge. Pas spécialement mignon. Il me regarde, je détourne la tête. Il y a également une mère et son fils qui ne doit pas avoir plus de quatre ou cinq ans.
Voilà, le décor est planté. Moi, mes compagnons de cellule, notre geôle. Il ne manque que le bourreau. Mais comme on dit, tout vient à point à qui sait attendre, et après une demi-heure à observer les poissons tourner bêtement dans leur aquarium, mon nom est finalement appelé.
Non sans une certaine angoisse, je suis le médecin en direction de ce qui est pour moi une salle de torture.
Après que je lui ai expliqué la raison de ma venue, qui n'est autre qu'une simple visite de contrôle, il m'invite à aller m'allonger sur le fauteuil. Ce maudit fauteuil...
Je m'exécute et prend place sur l'engin. Le dentiste enfile une paire de gants, met un masque sur sa bouche, vient s'asseoir sur le siège qui est à ma droite.
« Allons-y.»
Le fauteuil se met en branle et je m'élève doucement. Mes doigts sont agités de soubresauts et tapotent nerveusement sur la surface plastifiée du fauteuil. Calme toi Déborah, calme toi...
Une lumière intense vient m'aveugler... Ca y est, ça commence. Le médecin choisit un outil parmi son arsenal et me demande d'ouvrir grand la bouche.
Un gros doigt caoutchouté vient tirer le coin gauche de mes lèvres tandis qu'une sorte de crochet métallique s'introduit dans ma cavité buccale. Je ne me sens vraiment pas bien. Pourvu que ça se termine vite. Je regarde le visage du dentiste, au dessus du mien. Ses sourcils épais sont froncés. Je ne sais pas ce que ça veut dire et je ne veux pas le savoir... Ses yeux sont braqués sur ma bouche tandis que le crochet gratte, soulève, sonde, tel les antennes d'un insecte en territoire inconnu. Mes mains sont crispées sur le fauteuil. J'ai envie de fermer la bouche, d'avaler ma salive, je n'en peux plus, j'ai l'impression d'étouffer.
« Bon, tout va bien.»
Le médecin retire son masque et ses gants tandis que le fauteuil redescend.
C'est terminé, enfin. Je me dépêche d'aller régler ma consultation et sort du cabinet sans me faire prier.
Je m'arrête quelques instants au bas de l'immeuble pour profiter de ce moment. Je ne reviendrai pas ici avant l'année prochaine.
L'année prochaine... D'ici là, de l'eau aura coulée sous les ponts. Encore bien des soucis qui se profilent à l'horizon. Est-ce que cette année encore j'arriverai à les surmonter ?
C'est sur ces sombres pensées que je prends la direction de l'arrêt de bus le plus proche.