Fragment #12 – L’éventail au sablier gravé

« Joyeux Noël ! »
Nos verres tintent dans un bruit cristallin. Nous sommes toutes les cinq attablées au Dionysos, que nous avons entièrement pour nous. Il n’y a que Louis, assis derrière le bar, le regard dans le vide. Je sais qu’il a passé le réveillon ici, et je me demande même s’il n’a pas dormi sur une banquette. Je sens qu’il pense à Michelle, moi aussi j’y pense, mais je n’ose pas aborder le sujet.
« Patron, vous voulez une coupe de champagne ?
- Hein ? Ah, euh, non, merci, je vais me faire couler un café.
- Bon, lance Clara, surexcitée, c’est l’heure des cadeaux ! »
Mon cœur bondit d’excitation. J’adore ces moments, un peu perdus dans le temps, où l’on se demande si ce que l’on a déniché va plaire à l’autre ; on guette chaque mouvement de sourcils pour déceler une éventuelle déception, et finalement, la pression se relâche une fois qu’un sourire sincère illumine le visage ami.
« Alors, on commence par….. Moi ! Joyeux Noël ! » Clara tend une enveloppe à Rose.
« J’ai peur, là !
- Mais non, ouvre ! » Clara sautille sur sa chaise d’impatience. Il se trouve que le cadeau de Rose est une carte-cadeau Darjeeling.
« Comment tu sais qu’il me faut de nouveaux soutifs ?! Merci ma chérie ! Bon, c’est mon tour, alors ? » Elle sort un paquet rectangulaire.
« Et c’est pour…….. Julie !
- Ah, je le savais !, s’exclame toujours la même.
- Aaaaaahhhhhh !!! Ca fait trop longtemps que je voulais le lire ! Merciii !! »
Mes doigts commencent à s’agiter. Elles ont toutes trouver les cadeaux idéaux , ça me met la pression. Julie a déniché un magnifique coffret d’aquarelles pour Mylène.
« Bon, c’est mon tour, je crois. » Sa voix me fait frissonner.
« Joyeux Noël, Lulla. » Je me sens rougir. J’attrape le paquet qu’elle me tend avec nonchalance, la regarde remettre ses longs cheveux en arrière, puis me souviens qu’il faut que je déchire le papier. Sous mes doigts, je découvre un éventail absolument sublime, en bois d’ébène et papier de soie.
« My gosh, Mylène, il est juste… Waow. »
Je laisse ma main caresser le bois doux, découvrir la moindre aspérité. La seule que je trouve est une gravure étrange, sept points reliés entre eux.
« Et moi alors ? Je veux mon cadeau !
- Tiens ma belle, bravo pour ta patience ! » Julie et Rose pouffent de rire.
Je n’entends même pas Clara déballer son sabre japonais, toute entière absorbée dans la contemplation de l’éventail au sablier gravé.