Altaïr
| Sujet: Fragment #47 – Récifs 12.02.09 2:27 | |
| Jeudi 12 février 2009 à Glasgow Je continue à marcher dans les rues de Glasgow. Je déambule. A toute heure du jour et de la nuit. Je pense beaucoup. Je pense à qui je suis. Je m'aère les poumons et le coeur. Je regarde les gens, tous les gens. Ceux que j'aime et ceux que je n'aime pas. Et je les aime tous. Les branches des arbres qui dépassent des jardins me cognent la tête. Je les laisse faire. Si ça les amuse. Qu'est-ce que je suis devenu ? Où il est, le bon vieux Louis ? Celui qui aime les gens, surtout les jeunes, et qui les regarde avec bienveillance ? Je repense à Julian, surtout. Un jour, Julian m'a dit : « Louis, dans tes yeux, il n'y a pas de récifs ». Dans les prunelles des autres, il voyait de la pierre, mais dans les miens, non, juste de l'eau, de l'eau calme et reposante. Mais les choses ont changé, vois-tu. Je crois que du récif m'a envahi le regard, Julian, et tu n'étais pas là pour me le dire. Pour me dire « attention Louis, taille tes récifs, ne les laisse pas te manger les yeux ». J'ai cinquante ans. Je suis un monsieur de cinquante ans. Et je regarde le monde, et la vie, et la mort. Je marche dans les rues de cette ville d'Ecosse, et je pleure. Je pleure et je souris, parce que je suis heureux. Je pense à toi, Maman. A toi surtout. Parce que c'est depuis que tu es partie que tout a commencé à se casser la figure autour de moi. Parce que j'ai cru que j'étais assez fort pour ne pas faire le deuil. Il y a beaucoup de vent. Un peu de pluie et de nuages. Je marche dans les rues, je passe à côté des gens. Ils se demandent peut-être pourquoi je pleure, comme ça, en marchant, les mains dans le dos. Ce n'est pas grave. Moi aussi, je me demande beaucoup de chose sur vous, sur ce qu'il y a dans vos vies. On ne peut pas tout savoir. Il y a des choses qui doivent rester silencieuses. Je suis curieux, depuis tout petit. Tu te souviens Maman ? Quand je voulais savoir tout sur tout ? Je ne suis pas nostalgique. Le temps a passé, et c'est bien comme ça aussi. Je ne veux pas être misanthrope dans ce monde trop âpre. Je veux être là, je veux être au plus près des choses. Alors je regarde le trottoir, et les flaques, et les rebords de la route, et la carrosserie des voitures, les chaussures des gens, les visages, les chapeaux, les tissus et les pierres, je regarde les branches des arbres, et le ciel, et tout est là autour de moi, solidement présent. Je suis là, au milieu des choses du monde. Peu à peu je me retrouve. Maman est à côté de moi. Elle prépare un barbecue pour Noël. Son chat ronronne dans le salon, sur le fauteuil. Les objets discutent entre eux. Le fauteuil, le tapis, la table. Maman prépare un chocolat chaud. Je suis tout petit. Je le regarde fumer dans le bol, et je sens son odeur. Et l'odeur du souvenir cacao se mêle au vent de Glasgow. Je pleure et je suis heureux, parce que je suis encore en vie. Un à un, j'arrache à mains nues ces récifs qui m'entartrent les yeux. Pour n'y laisser que deux prunelles d'eau. De l'eau d'amour. | |
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Alhena
| Sujet: Re: Fragment #47 – Récifs 12.02.09 2:35 | |
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Altaïr
| Sujet: Re: Fragment #47 – Récifs 12.02.09 2:36 | |
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