Dimanche 15 février 2009
à Paris
12h25. Je suis un peu en retard. Il m'a dit midi et demi, mais je sors à peine de chez moi, et je dois aller de l'autre côté des bords de Seine pour arriver chez lui. Chez eux. Parce qu'il habite avec sa copine. Je mange chez Thomas à midi. Il m'a invité parce qu'il trouve que pour des frères qui habitent la même ville on ne se voit pas beaucoup. Pierre ce n'est pas pareil, on est dans la même caserne, on arrive à se croiser au moins une fois par semaine.
Je rentre dans le métro. Impossible de m'asseoir, il y a bien trop de monde. Adossé à la vitre je regarde le sol. Je sors mon portable de ma poche. J'enlève mon gant droit et commence à pianoter.
Hey Lilou ça va ? Vous avez passé une bonne Saint-Valentin ? Moi ça va. Ici il fait froid. Je vais essayer de venir bientôt à Dijon. Biz. A+ Message envoyé.Je renfile mon gant. Ce sont ceux que Laura m'a offert à Noël. Ils tiennent bien chaud.
Son appartement est clair, sa copine est jolie, le repas est bon, le quartier est calme. Je n'aime pas vraiment ça. J'ai peut-être trop l'habitude de vivre avec Laura. De vivre au jour le jour. Mon frère est posé, il nous annoncerait presque qu'ils vont se marier et faire trois enfants dans les cinq années à venir. Je suis content de le voir, ce n'est pas le problème. Le problème c'est sa vie de coq en pâte. Il ne m'a pas fallu longtemps pour comprendre que cette fille, aussi intelligente soit-elle, -elle est en dernière année de thèse d'Histoire de l'Art- fantasme sur les uniformes. Aussi mon frère n'a qu'à se mettre les pieds sous la table quand il rentre. Elle lui fait la lessive, le repassage, les courses, le ménage. Elle fait tout mais semble aimer ça. C'est le genre fille de bonne famille, pudique et réservée, qui semble s'effacer devant son mari, n'être là que pour le servir. En apparence en tout cas. Il y a une certaines mollesse derrière son activité incessante, et son sourire béant. Elle me fait un peu penser à ma mère. Avec trente ans de moins.
« Hier j'ai fait une de ces inter' !
- Raconte. »
Il me décrit parfaitement, je pose des questions, je fait le lien avec des interventions à moi, il pose des questions. On a beau être trois autour de la table, la discussion ne se fait qu'entre nous deux. Il lui tient la main. C'est à ça que se résume son rôle à table. Je ne supporterais pas ce rôle, je ne supporterais encore moins que ma copine soit juste une potiche que l'on pose à côté de nous, et que l'on tient pour qu'elle ne tombe pas. Je la veux avec du caractère. Pas comme Elle. Éléonore.
Elle va préparer le café, ouvre une boîte de biscuit, sors la sucrière du placard, verse le café dans de la belle porcelaine.
Je leur dis au revoir, et les quitte pour aller retrouver Laura, sa fougue et sa jeunesse. Oui, parce que si l'on met de côté mes discussion avec Thomas, j'ai eu l'impression de déjeuner chez mes grands parents du Morvan. C'est fou d'être déjà vieux à vingt-cinq ans.