Fragment #40 - Bruit de taule

Grégoire conduit le bolide à fond. L'aiguille dépasse les 150 km/h. Les roues glissent presque sur l'asphalte. Derrière, Michaël ne dit plus un mot. Il s'accroche au cuir vieilli du siège. Il a peur. Je ressens sa peur, mais je ne peux pas le rassurer. Grégoire sert le volant très fort entre ses mains. Il est crispé, de la sueur perle sur son front. Le bruit du moteur est envahissant, un ronflement qui ne fait qu'augmenter, entêtant. Excitant. Le paysage défile. La nuit noire enveloppe le véhicule qui la fend violemment. Michaël n'est plus qu'une ombre tremblante, tapie au fond du siège, immobilisée par la vitesse. Je voudrais dire à Grégoire de ralentir. Il ne m'écoute pas. Ses yeux fixent le vide. Puis c'est l'impact. L'arrière de la voiture se soulève d'un coup et le véhicule s'écrase avec grand fracas sur le sol. Michael est projeté hors du véhicule, s'envole dans les airs et s'écrase dans le feuillage touffu d'un arbre tandis que la voiture glisse sur plusieurs mètres. Le toit est défoncé en un instant. Les vitres explosent. Je hurle. Les étincelles brillent dans la nuit noire. Bruit de ferraille fracassée. Odeur de taule brûlée. La vitesse du véhicule diminue légèrement. Puis un camion qui arrive à contre-sens à vive allure le percute, fend le véhicule en deux, déchiquète la taule. J'aperçois le visage ensanglanté de Grégoire pendant une fraction de seconde avant que l'avant de camion ne l'écrase complètement. Du sang partout. Je hurle.

Jacqueline passe un gant frais sur mon visage.

Il est mort.

Elle ne dit rien.

Il est mort. Une deuxième fois.
Rendors-toi.

Jacqueline attend quelques minutes, le temps que je me calme. Puis mes yeux sont lourds et je commence à me rendormir. C'est à cet instant précis que je vois l'enfant au pied du lit. Il sourit. Et je sombre dans un autre de mes cauchemars récurrents.