Fragment #110 - Tubes et aiguilles

On me dit de ne pas bouger la tête, mais de toute façon je n'en ai pas l'envie, ni la force. On me met le crâne dans une sorte d'étau en plastique blanc. Puis une sangle autour. Vous avez peur que ma tête prenne la fuite ? Le plafond bouge au dessus de moi. Ou c'est moi qui bouge ? J'entre dans un tunnel blanc. Une petite lumière l'éclaire.
« Ne bougez pas, Monsieur. Ce ne sera pas long, sauf si vous bougez. »
Putain, t'as pas encore compris que je voulais pas bouger. Même pas un petit doigt. Même pas les lèvres pour te dire que tu me fais chier. Laisse moi dormir. J'ai mal à la tête.

J'ouvre mon œil gauche, le droit toujours trop douloureux. La lumière du jour me fait tellement mal. Il y a un grand soleil printanier qui s'est invité dans ma chambre. Je sais où je suis, mais pas exactement. A Lille, ça c'est sûr parce que Claire est passée hier, ou cette nuit, ou ce matin. Enfin, je crois. J'ai du mal à me remémorer ces dernières heures. Je suis groggy par la douleur et les médicaments. Je n'arrive pas à rester éveillé très longtemps. D'ailleurs, je sens déjà les ténèbres me rappeler. Je résiste encore un instant. Je détaille ma chambre. J'essaye de prendre des repères visuels. Un grand fauteuil vert occupe un coin de la pièce, une petite table étant installée juste à côté. Il y a une carafe d'eau et un verre posés dessus. Rien d'autre. Je tourne la tête. Une table de nuit avec un téléphone, et rien d'autre.
Ça me gratte à la main droite. Instinctivement, la gauche part la soulager, mais une douleur s'empare alors de mon bras gauche. Et merde, j'avais pas vu le cathéter. Et puis re-merde. J'aime pas ça. Je défais le scotch, et commence à triturer l'aiguille pour la sortir de l'intérieur de mon bras.
« Mais qu'est-ce que tu fais ? »
Je lève les yeux. Claire, t'as le chic pour arriver au mauvais moment. Mon sang a à peine le temps de faire un rond de dix centimètres de diamètres sur mon drap qu'une infirmière, appelée par ma sœur, est déjà en train d'essuyer mon bras et de me remettre la perfusion dans le bras. Si j'avais la force de lutter, je te la planterais dans le cœur. J'ai mal à la tête, putain de bordel de merde. Je résiste plus. Je laisse les ténèbres m'emmener.
Je rêve de Sofia. Je rêve que ma tête explose sur le macadam et que je pars enfin, la rejoindre. Rozia est dans mon rêve. Il se tient entre moi et Sofia.
« Ne vous avais-je dit qu'elle était déjà morte, votre bien aimée ? Vous voilà réunis. A jamais. »
Puis il rigole et je me consume. L'Acide me consume de l'intérieur. Chaque pore de ma peau dégorge d'Acide qui vient finalement envelopper Sofia et moi, et nous dissout. Mais nous sommes ensemble. Pour toujours.

Lorsque je rouvre l'œil, Claire est assise dans le fauteuil vert, en train de lire un magasine. Malgré ma gorge sèche, j'arrive à articuler quelques mots.
« Hey.
- Hey. Comment tu te sens ?
- J'ai mal à la tête.
- C'est normal, mais ça devrait se calmer.
- Où est Sean ?
- Dehors, il prend un peu l'air.
- Alors, j'ai quoi ?
- Une légère commotion cérébrale. Mais apparemment assez importante pour te mettre à terre. Il s'est passé quoi au juste à Paris ?
- L'ex de Laura. Il nous a attaqué. Je suis tombé, et j'ai heurté le macadam.
- Et lui ?
- Quoi « et lui? » ?
- Je suppose que tu n'es pas resté les bras croisés après ça.
- Je lui ai défoncé le nez. C'est pas très malin.
- Non, mais au moins, je suis fière de toi. T'es pas si mauviette que ça. 
- Saloperie va.
- Moi aussi, je t'aime frérot. »
Cette conversation m'épuise. Mais je suis content de rigoler un peu avec ma sœur. Et puis, pendant ce temps, je pense moins à Laura qui doit toujours être en colère contre moi.