Fragment #47 - Annonce sinistre

Robin a révélé des talents cachés. Nos excès de testostérone font bouillir et trembler les murs de l'appartement. Je redécouvre son corps, sa peau, la forme de ses mains et de ses pieds, les lignes de son sexe. Son regard sait se durcir et se mouiller alternativement. J'aime ce jeu que nous développons ensemble, qui ranime en nous des sentiments plus vivaces, plus féroces. Ses dents se plantent dans mon échine et je frissonne, je ne sais pas jusqu'où il peut aller et cela m'inquiète et m'excite. J'aime douter de lui, j'aime ne pas savoir ce qu'il va faire de moi. J'aime ignorer une part de son être et me dire que nous sommes parfois étrangers l'un à l'autre. C'est apaisant.
Nous petit-déjeunons en écoutant de la musique. Florian passe dans la cuisine sans rien dire, torse nu. La vue de son corps me procure une érection honteuse. Je ne sais pas s'il nous entend, la nuit, quand Robin et moi déchirons l'air de langoureux cris d'hommes, car il rentre toujours tard de chez Lætitia, la voisine du dessous qui flirtait auparavant avec Julian et qui désormais s'envoie en l'air avec mon autre frère. Je hais cette succube pour tout le mal dont elle est capable. J'espère que Florian prendra conscience rapidement du danger qu'elle représente, mais je n'ose pas lui en parler. Après tout, ses absences nous invitent à la luxure la plus délicieuse.
Mon frère nous souhaite une bonne journée d'un air bougon. Je ne sais pas s'il se souvient du fait que, ce samedi, je fêterai mes vingt ans. Je me demande s'il compte m'offrir quelque chose, vu la complexité de notre relation. Les années précédentes, il ne m'a fait aucun cadeau, mais cette fois, nos rapports se sont un peu réchauffés. Qui sait s'il estime que je suis digne d'être traité comme un frère ou s'il m'en veut encore d'être homosexuel ?
La porte de l'appartement claque derrière lui et j'invite Robin à monter le volume sonore. La musique emplit la cuisine de ses basses et nous dansons un peu, avant de mettre nos bols dans l'évier pour passer à la salle de bain et prendre une douche brûlante. Sous le jet d'eau enlacés, nos corps se violentent. Robin me maitrise sans mal et me plaque contre le carrelage froid, et glisse en moi sans difficulté. Je le sens jouir rapidement, trop excité pour faire durer les choses. Peu importe, nous recommencerons dès qu'il le voudra.
Je m'habille et me brosse les dents, me chausse, enfile une veste et une écharpe. Il ne fait pas vraiment beau. Enfin prêts, Robin et moi quittons l'appartement et descendons les escaliers de l'immeuble. Nous sommes en avance pour aller prendre le bus. Pas de quoi nous presser. Arrivés dans le hall, la détestable concierge, Mme Richard, s'approche de moi d'un air mauvais, ses pieds enfoncés dans d'épaisses charentaises. Elle me souffle avec hargne :
« Quelqu'un a posté ça pour vous, M. Mahogany. Votre frère dit que c'est pas pour lui.
- Ah bon ?
- Y a pas de timbre, ça a été posté directement ici. »
Sa vieille main rouge et rugueuse me tend une enveloppe sur laquelle rien n'est écrit. Intrigué, je jette un regard à la concierge, puis à Robin, avant de l'ouvrir, les doigts tremblants. A l'intérieur, il y a une feuille de papier, toute simple. Quelqu'un a collé des lettres découpées dans un magazine, multicolores. Les lettres assemblées disent d'un ton prophétique et sinistre :

« Prend garde, petit Lilian, ton coeur va faire boum boum. »