Antarès
| Sujet: Fragment #41 - A la faveur de l'automne 11.04.08 11:38 | |
| Dimanche 11 novembre 2007 à Dijon Je n'arrive pas à croire que je me tiens debout, juste à côté de Dimitri. Il y a quelques semaines, je parlais à peine, et voilà que je marche. Difficilement certes, mais je marche. Ca me fait tout drôle. Ces séances de kiné sont vraiment très efficaces. C'est ce que m'a dit Dimitri en voyant mes spectaculaires progrès. C'est vrai, elles sont efficaces. Mais elles sont aussi très pénibles. Et je lui raconte les tortures que je dois subir chaque semaine. Il m'écoute, le sourire aux lèvres. Ca me fait vraiment du bien de l'avoir à mes côtés. La seule personne, avec mes parents, qui se soucie de moi. « Tu vas pouvoir prendre l'air aujourd'hui. Le médecin t'autorise à sortir dans la cour. » Je mets quelques secondes avant de réagir aux paroles de Dimitri. J'avais presque oublié qu'il existait un monde extérieur. Bon, la petite cour de la clinique, c'est pas encore le grand air, mais c'est déjà pas mal. Après tant de jours passés dans cette chambre, ces couloirs et ces salles d'examens, sentir l'air frais de l'automne sur ma peau me fait le plus grand bien. Nous avançons, lentement, jusqu’à un des quelques bancs disséminés dans la cour. Dimitri m'aide à m'asseoir, puis s'installe à côté de moi. J'espère que je ne suis pas un boulet pour lui... Comme s'il m'avait entendu, Dimitri me lance un regard bienveillant. Peut-être que je me fais de soucis pour rien, comme toujours. Je regarde autour de nous. Il y a beaucoup de personnes âgées. Beaucoup de médecins aussi. Mais ils sont bien moins stressants ici, au milieu des couleurs chaudes de l'automne, qu'entre les murs livides de la clinique. L'un d'eux aide une petite vieille à marcher. Je l'ai déjà croisée. Il me semble qu'elle est atteinte d'Alzheimer. Dans sa main droite, elle sert très fort un petit pendentif doré, sur lequel j'ai pu apercevoir un jour la photo en noir et blanc d'un jeune homme. Peut-être son amant ou son fils. Un dernier souvenir qui bientôt s'envolera, comme les autres. J'espère ne pas être là quand elle laissera tomber le pendentif. De l'autre côté de la cour, un homme, pas si âgé, contemple les arbres au feuillage doré depuis son fauteuil roulant. Lui aussi je l'ai déjà vu. Il a une femme et une petite fille qui viennent le voir régulièrement. Il n'y a que dans ces moments où je le voie sourire. Je n'ose même pas imaginer ce que doivent ressentir les gens d'ici qui n'ont aucune famille, aucun ami pour venir leur apporter un peu de chaleur dans cet endroit glacial. Une feuille écarlate se détache de l'arbre qui surplombe notre banc et vient mourir à mes pieds. C'est pour ça que je dois profiter de la présence de Dimitri. Je lui souris. Il fait de même. « Tu sais le médecin à qui tu as parlé tout à l'heure. Et bien il... » Et je parle. Je parle comme je n'avais pas parlé depuis longtemps. Je lui dis tout et rien. Je ris même. Aujourd'hui, je sens que la page des quatre derniers mois et en train de se tourner. Lentement, mais sûrement. | |
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