Fragment #42 - Des dizaines de possibilités, et pourtant...

Tranquillement allongée dans mon lit d'hôpital, j'écoute Dimitri me parler. Il est assis tout près de moi, si bien que je distingue parfaitement toutes les expressions de son visage. Des expressions que je connais si bien. Depuis le lycée... Et pourtant, j'ai l'impression que mon accident nous a encore rapprochés. On se parle librement maintenant, sans inquiétude, sans peur de blesser l'autre. C'est peut-être une récompense pour ce que j'ai enduré. Je ne sais pas. En tout cas, je profite de chaque seconde passée avec lui, j'écoute chacun de ses mots avec attention. Il me dit qu'il veut rester chez Michelle, qu'il est bien là-bas. Ca se voit. Je vois dans ses yeux qu'il ne veux pas partir. Alors, il faut qu'il reste chez la vieille dame. C'est ce que je pense. Au moment où je m'apprête à le lui dire, la porte de la chambre s'ouvre soudainement. Un jeune homme en blouse blanche, brun, au visage tendre, entre dans la pièce. C'est Théo. Il va sûrement encore me refourguer des pilules ou je ne sais quoi. Mais bon, il est tellement gentil, je ne peux pas refuser.
« Bonjour ! Tiens Déborah, je t'apporte encore un peu de contrainte, j'ai oublié ceux-là ce matin. »
J'en étais sûre. Ceci dit, je ne vois pas pour quelle autre raison il viendrait me voir.
« Ah, merci Théo.
- Je mets ça où ?
- Tu peux les poser là, sur la table. »
En fait, il est plutôt beau garçon. Finalement, ça a du bon l'hôpital. Mais à quoi je pense ? Ca ne me ressemble pas.
« Voilààà ! »
Théo se dirige à nouveau vers la porte. De quoi est-ce que je parlais déjà ? Ah oui, il faut que je dise à Dimitri qu'il reste chez Michelle.
« Bon allez, je vous laisse les amoureux. A plus ! »
La porte se referme, mon cœur bat la chamade. Est-ce que j'ai bien entendu ? Oui, c'était on ne peut plus clair. Mais qu'est-ce qu'il s'imagine ? Les secondes passent et un silence oppressant s'installe dans la pièce. Un silence qui nous écrase et nous paralyse. Je n'ose pas regarder Dimitri. A quoi pense-t-il ? Est-ce qu'il sait pourquoi Théo a dit ça ? C'était peut-être juste pour l'embêter. Non,non, ils ne se connaissent pas, Théo n'a aucune raison de faire ça. Mais pourquoi alors ? Je n'oserai pas demander à Dimitri. C'est trop gênant. Finalement, on est peut-être pas si proches que ça. Vraiment, cette situation est insupportable. Tout ça à cause de ces foutus médicaments. Théo je te déteste. Il y avait pourtant des dizaines d'autres possibilités : s'il était venu quelques minutes avant, ou quelques minutes après, si quelqu'un l'avait interpelé en chemin, s'il y avait eu un accouchement en urgence, n'importe quoi je ne sais pas ! Mais non, il a fallu qu'il rentre dans cette chambre au moment où Dimitri y était. Foutu hasard !
« C'est pour quoi ceux-là ? »
Je mets quelques secondes avant de comprendre que Dimitri me parle des médicaments.
« Presque rien. C'est juste parce que j'ai un peu mal à la gorge. C'est pour ça qu'il les a oubliés. Ils ne font pas partie du traitement. »
Bravo Dimitri, tu as réussi à briser ce silence infernal. Mais aucun de nous n'a oublié les paroles de Théo.
« Ils te laissent sortir un peu plus souvent maintenant ? »
Il faudra qu'on en parle tôt ou tard.
« Oui. Du coup j'en ai profité et je me suis faite avoir. Je ne prenais pas froid comme ça avant. »
Parce que si on attend trop, si on laisse ça traîner, ça va pourrir. Je ne veux pas.