Fragment #45 - Qu'est-ce que je veux ?

La porte claque avec violence, et la dernière phrase de Damien résonne tristement entre les murs de mon appartement. Tu sais Laura, je suis vraiment amoureux de toi. Et je suis pas du genre à ignorer la personne que j'aime, à ne pas être là pour elle. Bien au contraire. et si tu ne veux pas de ça, alors, je ne sais pas, mais ça ne marchera pas. Je te l'avais dit. Je ne suis pas là pour te faire du mal, ou me foutre de toi. Maintenant, à toi de voir.
Oui, à moi de voir, mais qu'est-ce que je veux ? Qu'est-ce que j'attends de ce garçon ? Je sais que je suis chiante, et je n'ai pas envie de changer ça. Mais est-ce que je suis prête à le perdre pour autant ? Qu'est-ce qui me plait en lui ? J'aime sa douceur, l'aura de mystère qui se dégage de lui. J'aime sa passion pour la photographie. J'aime sa pudeur et ses silences. J'aime sa timidité, son absence d'arrogance. J'aime sa féminité.
Qu'est-ce que je n'aime pas en lui ? Son côté protecteur, le piédestal qu'il place sous ses secrets, sa violence cachée. Sa maladresse lorsque nous couchons ensemble, son insupportable patience. Et la peur. La peur immense qui se lit dans ses yeux.
Maintenant, comparons. Est-ce que les points positifs n'en valent pas la peine ? Est-ce que je ne peux pas faire un effort ?
Je suis vraiment amoureux de toi.
Mais moi, est-ce que je suis amoureuse ? Est-ce que je ressens la même chose ? J'ai l'impression qu'un vide terrible s'est creusé en moi après ma rupture avec Simon. Comme si mon coeur s'était éteint à tout jamais. Je repense à Julian, mon premier amour, et à la façon dont notre relation a été brisée par ses amis de l'époque. Je repense à Nathan, trop hermétique, trop torturé, trop drogué. Je repense à Simon, à l'arrogance et à la méchanceté, à l'envie quotidienne de faire ployer l'autre et de le dominer. L'image de Patrick me revient ensuite, pour parachever le tableau. L'image d'un homme lubrique m'offrant une carrière en échange d'une bonne pipe.
Des larmes viennent se nicher au bord de mes yeux. Pourquoi les hommes qui tombent sur mon chemin sont-ils tous des salauds ? Pourquoi est-ce que je suis si seule ? Pourquoi est-ce qu'Alexandre n'est pas là ce weekend, alors que j'aurais tant besoin de lui ?
Je pleure à en perdre la raison, jusqu'à ce que ma peine s'amenuise. Les minutes passent. Les heures aussi. Quelques sanglots sporadiques me secouent encore, mais je suis d'ors et déjà calmée. Alors je sèche mes cils humides, enfile des chaussures et ma veste. Je prends mes clés et quitte l'appartement, et j'y laisse mon ego trop encombrant.
Je saute dans le métro. Il fait déjà nuit et j'espère qu'il n'est pas trop tard. Je traverse Paris. Ligne 5, puis ligne 2. La capitale palpite et se laisse admirer depuis la ligne aérienne. Des couleurs fluo tracées au néon dans l'obscurité. Des trainées multicolore comme un rêve LSD.
Je rejoins à pied son appartement. Même trajet que la veille, lorsque nous sommes allés faire des prises de vue à Montmartre. Derrière la porte, je l'entends jouer à la guitare. Quelques notes mélancoliques grappillées au détour des cordes. J'inspire profondément, prête à faire acte d'humilité. Je ne suis pas méchante. Je ne veux pas être méchante.
Et je suis sincèrement désolée d'être aussi chiante.