Fragment #52 – Les mains sales

Merde. Je suis vivant.
Pourtant, au fond de moi, j'ai espéré, de toutes mes forces, que je me réveillerais pas. Je voulais pas revoir le monde après ce qui s'est passé. Je voulais pas que le monde me voie après ce qui est arrivé.
Le corps de Robin. Pulvérisé. Comme un pantin.
Maura est à mon chevet. Elle me regarde avec des yeux profonds. Je voudrais qu'elle tourne la tête, mais elle s'obstine à me fixer. Alors c'est moi qui détourne les yeux, parce que je peux pas supporter qu'elle me voie dans cet état. Est-ce que je suis responsable de l'accident ? Est-ce que c'est moi qui ai tué Robin ? Merde, où sont Julian et Lola ? Est-ce qu'ils vont bien ? Et Lilian ? Je veux voir Lilian...
« Comment tu te sens ? me demande Maura.
- J'ai mal partout, je murmure.
- Ca va aller, tu vas t'en sortir. Mais les médecins disent que tu as eu de la chance, tu as failli finir en fauteuil roulant pour le restant de tes jours. »
De la chance. C'est une blague, Maura ? J'ai l'air d'avoir de la chance après ce que j'ai fait ?
« Et Julian et Lola ?
- Ils vont bien. Lola n'a presque rien eu et ton frère s'est réveillé ce matin. »
L'étau sur mon cœur se desserre un peu, mais la douleur reste tenace. Je vois que Maura ouvre la bouche à nouveau, et je sais qu'elle va parler de Robin. Elle sait pas que je me suis réveillé, dans la voiture, avant de perdre connaissance. Elle sait pas que j'ai vu son corps brisé. Je suis peut-être un des seuls. Les images reviennent en saccade et je ferme les yeux. Impossible de les chasser de mon esprit. Impossible d'oublier la vision macabre. La tête tranchée. Le thorax éclaté. Les tripes. L'odeur du sang.
Mon visage devient livide. Je sens que je perds pied à nouveau. Tout devient trouble, tout se met à tourner. Comme si on me jetait dans un liquide opaque. Comme si je me noyais. J'ai le coeur qui bat à deux cent à l'heure, et ça cogne dans ma tête comme sur un tambour.
Tout s'efface autour de moi.
Et c'est tant mieux.