Fragment #67 - La boutique d'antiquités

Je rejoins Maël devant l'Hôtel de Ville. Je sais que je suis en retard, mais Nicolas a voulu me prendre encore une fois avant d'aller au travail, et nous n'avons pas vu l'heure tourner. Maël me tend un mouchoir et me signale que j'ai du sperme dans le cou. Je revois l'éjaculation monstre de mon partenaire assis sur moi dans le lit, et mon visage s'empourpre de honte.
Amusé, Maël dédramatise les choses et me dit qu'il doit passer dans une boutique d'antiquités sur l'Île Saint-Louis, pour commander des meubles avant de me faire faire une balade dans Paris. Aujourd'hui, il est ma nounou attitrée et je dois faire tout ce qu'il me demande. Ce sont les instructions de Nicolas, et je compte bien les observer à la lettre.
Je suis mon baby-sitter jusque dans cette boutique, les Quatre-Vingt Huit, où Maël semble bien connaître la vendeuse, une fille basanée au regard dur et pénétrant, qui me dévisage violemment. En entendant mon prénom, elle se fige et m'ignore, puis, tandis que Maël se plonge dans le catalogue qu'elle lui tend, elle se tourne vers moi et me dit :
« Nous nous sommes déjà rencontrés, n'est-ce pas ? 
- Heu... je ne m'en souviens pas...
- Hmm. »
De quoi est-ce qu'elle parle ? Je ne me souviens pas l'avoir déjà vue. Je n'aurais pas oublié la méchanceté qui coule de ses yeux, la froideur et le mépris. Et cette sensation terrifiante, comme si elle lisait jusque dans mes os, comme si mon âme et mon coeur étaient un livre ouvert.
Je préfère m'éloigner du comptoir et vadrouiller un peu entre les rayons jonchés d'objets anciens. Des bateaux miniatures -taillés dans le moindre détail- aux boussoles d'or, en passant par les appeaux et les assiettes de porcelaine ciselées. Je regarde tout ça sans trop m'y intéresser, parce que c'est un peu trop tape-à-l'œil à mon goût.
« Ca va Lilian ? Excuse moi, pour me faire pardonner de l'attente on va aller prendre un truc dans un café à Saint-Germain après, ça te va ? »
Maël me scrute de ses yeux étincelants. Lui aussi, il me fait peur. Un peu comme cette fille. Ils sont trop beaux, trop sûrs d'eux, trop pétillants d'intelligence. Je me sens mal à l'aise et un cran en dessous, comme indigne de me trouver en leur compagnie. Mon visage rougit à nouveau, lorsque je réponds :
« D'accord, mais t'en fais pas, je m'occupe en regardant tout ce qu'il y a ici... »
Mensonge. Est-ce que ça n'est pas ton joli cul qui attire toute mon attention ?