Shedar
| Sujet: Fragment #7 - L'amour 11.04.08 12:09 | |
| Dimanche 24 décembre 2006 à Dijon Ah, on ne t’attendait pas. Merci maman, c’est gentil. Je referme la porte et m’avance jusqu’à la salle à manger. Tout le monde est là, autour d’une seule et même table, à ne s’occuper que de ce qu’ils vont engloutir. Ma mère a dispersé dans l’appartement les accessoires qu’elle se félicite tant de posséder bien qu’elle ne s’en serve qu’un seul jour par an. Un seul. Mon père passe avec le dessert. Une bûche. Original. On n’en mange presque jamais. Un seul jour par an. Un seul. Le même jour. L’an dernier une assiette était là pour moi, même si elle avait rapidement été expulsée du cercle de son clan. L’an dernier : Ah, on ne t’attendait plus. L’an dernier j’étais certain d’avoir entendu le pire... D’habitude j’apprécie de passer inaperçu parmi les gens. Ce soir, le plaisir est aussi grand que d’habitude, bien qu’il soit aussi très amer. Pourtant je ne suis pas un fantôme. Les fantômes n’ont pas besoin d’ouvrir les portes. Je patiente encore quelques secondes. Mais rien. Les regards m’évitent, le reste m’ignore... Sans importance. Je remets mon écharpe et m’enfuis de cet endroit. L’hiver est plus chaleureux. Mais dehors, tout m’épie. C’est la première fois. Je contre-attaque en baissant les yeux, m’en vais marcher dans d’autres rues. Des rues plus calmes. Mon ombre répète inlassablement les mêmes pas de danse sous chaque paire de lampadaires. Après quelques valses un chat brise le disque. Le chat. Il s’avance sur la piste. Dessine des huit autour de mes jambes. Puis disparaît doucement. Mes yeux se relèvent alors pour suivre un peu le point d’interrogation qu’imite la queue de l’animal, le représentant si bien. J’analyse les alentours. Les résultats sont sans appel. La vieille habite à dix mètres de là. J’hésite une seconde, une seule, et vais frapper à sa porte. Cette porte que Déborah a tant haïe. Cette porte qui a tant souffert. Cette porte qui s’ouvre. Entre. Je t’attendais. C’est bien la même voix, mais plus tremblante. Plus frêle aussi. A l’intérieur il fait sombre, je ne perçois que vaguement la silhouette d’une petite dame qui s’aide de sa canne à la manière de Maître Yoda. Une petite dame qui se cache au fond de son peignoir. Une petite dame pas comme les autres petites dame. Je la suis jusqu’au salon. Apprécie la douce chaleur qu’offre généreusement le feu qui piétine au creux de la cheminée comme s’il voulait s’envoler. Quelle est ta première question mon enfant ? Sans détour. Alors, sans détour, je m’assoie face à elle et lui demande pourquoi le chat n’a pas eu peur de Déborah. Je savais que tu ne serais pas venu seul. Cependant je n’aurais pas laissé entrer ton amie ce jour-là. Dans cette maison, mon enfant, règne l’amour. Ce chat est né ici. Je l’ai élevé moi-même. Personne ne l’a jamais frappé, il ne connait pas la souffrance qu’engendre un coup. Il n’a aucune raison d’avoir peur lorsqu’on se montre agressif ou menaçant devant lui car il n’associe pas le danger à un tel comportement. Il ne connait d’ailleurs pas plus le stress ou l’angoisse que la peur. Je ne souhaitais le protéger du mal que jusqu’à ce qu’il devienne adulte. Puis la maladie l’a séparé de sa mère à tout jamais. J’ai jugé sa peine suffisamment grande pour décider de l’épargner de la haine. A présent il ne peut être qu’impassible face aux menaces. Je ne lui ai enseigné que l’amour. Elle se lève. Mon enfant, sois libre en ce lieu, d’y entrer autant que d’en sortir. Cette porte n’est jamais fermée. Le sommeil semble vouloir t’emporter. Je te souhaite une douce et agréable nuit. La petite dame, au fond de son peignoir, s’évapore dans le fond de sa petite maison. Elle a raison, la fatigue m’a déjà enchaîné. Je n'ai plus assez de force pour prononcer un seul mot de plus. Pourtant j’ai encore beaucoup de questions à lui poser. Mais elle sait tout cela, j’en suis certain... Et ce fauteuil est si moelleux... | |
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Procyon
| Sujet: Re: Fragment #7 - L'amour 01.05.08 15:08 | |
| "L’hiver est plus chaleureux." J'adore cette phrase !! | |
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