Fragment #68 - Ne pas y penser

Nicolas se retire et je tombe sur le matelas, en sueur. Il court sous la douche pour ne pas perdre une seconde, histoire d'arriver à l'heure à son travail. Je le rejoins sous le jet brûlant, me love contre lui, pose ma tête contre son torse. Il caresse mes cheveux qui se chargent d'eau, avec un sourire paternel, amusé par mon attitude puérile. J'ai envie de jouer au gamin, quand je suis entre ses pattes. J'aime que l'on prenne soin de moi.
« Tu me savonnes vite fait ? »
J'obéis, docile, et Nicolas se tourne pour me présenter son dos. Il faut que je fasse vite, car il est arrivé en retard deux fois à son boulot cette semaine, et sa chef n'aime pas du tout cela. Nicolas travaille dans une boîte de publicité, Iriscom, et sa carrière lui tient à coeur.
Avant de partir, il m'embrasse sur la joue, jouant à l'amant éperdu et complice. Puis la porte claque et je me retrouve seul dans son duplex, rue du Pélican. En boxer, je m'étends sur le canapé face à l'écran plat, commence à regarder la télé. Cette vie de bohème ne me plait pas du tout. Si je veux rester un peu dans cette ville, il faudra que je trouve du travail. Bien sûr, j'ai demandé à Nicolas s'ils ne cherchaient pas quelqu'un dans son agence, mais apparemment sa chef n'est pas très enthousiaste.
J'attrape l'ordinateur de Nicolas et me connecte à Internet pour aller surfer sur Google à la recherche d'une petite annonce. La session me branche automatiquement sur un site de rencontre gay, Rezo-G, depuis le profil de mon hôte. Plusieurs dizaines de discussions sont déjà amorcées, et, même si je déteste ce principe, je ne peux pas résister à la tentation de lire ce qui a été dit entre Nicolas et ses interlocuteurs. Soudain, une fenêtre MSN s'ouvre brutalement.

Matthieu75
Salut, tu fais quoi today ? On se revoit quand ?

Mes doigts pianotent une réponse, fébriles.

Je sais pas...
Now ?
Heu non, c'est pas Nicolas qui parle, c'est un ami à lui.
Gay ?
Oui.
Pic ?
Quoi ?
T'as des photos de toi ?
Non.
Lance ta cam.

Matthieu75 m'envoie une invitation. Je clique sur OK.

Pas mal, t'as l'air jeune. Quel âge ?
20 ans.
Act ? Pass ? BM ?
Je comprends pas...
Actif ou passif ?
Passif.
Cool. Bien monté ?
Normal.
Moi act/pass 20*5 endurant. Tu kiffes ?
Je sais pas...
T'as pas l'air motivé mec. Imb ?
Je comprends pas...
T'es poilu ?
Non.
Cool. Je viens now.
Non, je sais pas...
Moi je sais, et j'habite au bout du couloir. A tout de suite.

Il se déconnecte brutalement. J'ai le coeur qui bat à cent à l'heure à l'idée de voir débarquer un type ici, sans même savoir à quoi il ressemble, juste pour coucher avec moi. Je me lève et me rassois aussitôt, paniqué. Est-ce que j'ai le temps de m'habiller un peu ? Est-ce vraiment nécessaire ? Qu'est-ce que je fais, s'il ne me plait pas ? Est-ce que je lui dis de repartir ? Oh, et puis après tout, il n'a qu'à me prendre et partir ensuite, peu importe qu'il soit beau ou pas.

On sonne à la porte.

Je vais ouvrir, des frissons font tressauter mon corps. Sur le seuil, je découvre un jeune homme blond au regard dur, qui doit avoir entre vingt-cinq et vingt-sept ans. Sans me laisser le temps de dire bonjour, sa main m'attrape la nuque et il m'embrasse sauvagement, sa barbe brûlant le contour de mes lèvres. Bientôt, il me gaze au poppers et me prend sur le lit de Nicolas, complètement offert et soumis. Je le laisse me baiser plusieurs heures durant, alternant les positions et les plaisirs. J'ignore qu'Alexandre m'envoie un SMS pour prendre des nouvelles. Mon esprit éthéré par la drogue ne veut pas y penser.