Fragment #83 - Sevrage

J’ai décidé d’arrêter de fumer. Ce choix tient surtout à des raisons de santé, je sens que je n’ai plus la même énergie, que mes poumons sont encrassés. Certains battements de mon cœur me semblent désordonnés, surtout après mes séances de sport. Ce n’est pas normal, je n’ai que vingt-quatre ans.
Ça ne fait qu’une demi-journée et pourtant j’ai le sentiment de ne pas avoir fumé depuis une éternité.
Le besoin court dans mes veines et tend mon corps qui réclame, qui supplie. Je m’oblige à rester occupé, pour ne plus penser. Au moindre signe d’ennui l’envie revient, plus présente et plus pressante que jamais. Cet effort pour repousser le désir, cette bataille contre soi-même toujours recommencée. Je ne sais pas si je vaincrai.
Personne ne peut comprendre ce combat, aucun non-fumeur tout du moins. Ils n’ont aucune expérience similaire à laquelle se référer. Ils ne peuvent imaginer cette tension qui envahit l’ensemble de l’organisme, ce besoin latent qui irrigue nos membres. Cette colère qui monte, cette irritabilité due à la frustration. Aucun non-fumeur ne peut comprendre le manque de patience d’un fumeur en plein sevrage. D’autant plus quand le sevrage s’effectue sans l’aide de patchs ou de gommes. Durant cette période, on ne cherche pas plus les embrouilles, mais on ne tolère pas les prises de tête inutiles. On se prend assez la tête avec soi-même.
Je me redirige vers le frigo, pour la dixième fois en cinq heures. Je me fais un sandwich aux rillettes que j’accompagne d’un grand verre d’eau. J’amène mon plateau à côté du mac et me replonge dans les sites de décorations et de meubles. J’ai déjà commandé un lit futon ainsi que la vaisselle et l’attirail de cuisine, des serviettes de bain également. Tout arrivera samedi matin à ma nouvelle adresse.
Je cherche des tapis à poser sur le parquet du salon mais aucun ne me séduit. Je lève les yeux de mon ordinateur une demi-heure plus tard, un désir de nicotine me noue les entrailles. Mon regard se pose sur le cendrier en cristal étincelant et immaculé. Je fais appel à toute ma volonté :

Résiste, résiste.