Fragment #85 - On s'apprivoise

Je me gare devant la boutique, allume les warnings, descends du camion et pénètre dans la boutique. Maya est là avec un de ses amis présent pour nous aider. C’est plutôt sympa d‘avoir prévu du renfort car, lors de la livraison rue Oberkampf, j‘avais dû demander de l‘aide au gardien. Nous chargeons rapidement les meubles dans le camion, avec délicatesse et sans heurts. Maya ferme la boutique tandis que je m’installe au volant. Elle échange quelques mots avec son ami qui me fait signe de la main et disparaît au coin de la rue.
Nous ne serons donc que deux pour décharger le camion, un et demi tout au plus. Heureusement que l’ascenseur arrive directement dans le salon sinon je n‘aurais pas donné cher de mon dos. La circulation est merdique et je mets plus d’une heure pour parvenir devant le quatre rue Ravignan. Mais Maya est d’humeur loquace, ce qui nous permet de discuter de sa semaine et de ses clients. Nous déchargeons les meubles avec difficulté mais elle fait de son mieux et semble prendre plaisir à m’aider. L’ambiance se détend franchement lorsque elle voit l’ascenseur. Je pense qu’elle s’inquiétait de devoir monter les meubles par les escaliers.
Nous entreposons les antiquités dans le salon sans nous soucier de les disposer. Je crois avoir lu de l’étonnement dans ses yeux lorsque nous sommes entrés pour la première fois. C’est vrai que l’appartement est magnifique.
Je prends beaucoup de plaisir à lui faire visiter de le reste de mon nouveau chez-moi, j’aime voir ses yeux s’agrandir devant la douche ou la cuisine, j‘ai l‘impression de le redécouvrir à travers elle. Son visage reste un masque impassible mais son regard est un puit qui plonge vers son âme. La moindre émotion s’y reflète quand elle n’y prend pas garde. Je lui propose un thé que nous prenons dans la cuisine. Je suis ravie qu’elle accepte car j’avais uniquement pris la boite à thé, la bouilloire, du sucre et deux tasses.
Nous discutons tranquillement malgré le temps qui passe. Cette fille est bien plus qu’une simple vendeuse. Derrière cette apparence se cache un esprit vif, une personnalité complexe. Je me rends compte qu’il est vingt heure trente et lui propose de la redéposer où elle le souhaite. Son regard se pose sur moi, plein de mystères et d’arrières pensées que j’aimerais connaître. Elle peut tout aussi bien être très proche qu’appartenir à un autre monde. J’aime cette ambiguïté chez elle, cette incertitude qu’elle met dans notre relation.
Elle s’arrête à la porte et je réalise que je ne la reverrais sûrement jamais. Cette pensée me dérange mais je ne sais comment aller plus loin.
- Ça te dirait qu’on se revoit en dehors de mon boulot ?
Je suis surpris que ce soit elle qui fasse le premier pas. Le fait que Maya me pose cette question me réjouie car je sais ce que ça lui a coûté de prononcer ces mots. Elle m'a fait assez confiance pour prendre le risque d'un refus. On s'apprivoise. Peut-être que je vais me faire une amie sur Paris.
- Avec plaisir, un resto courant de semaine prochaine ça te tente ?
- On fait comme ça. Bonne soirée Maël.
- Bonsoir Maya.