Shedar
| Sujet: Fragment #11 - Voyage en Harmonie 11.04.08 12:14 | |
| Jeudi 11 janvier 2007 à Dijon Je ne me lasserai jamais de ce fauteuil. Il a l’air d’être au moins aussi vieux que la petite dame et pourtant j’ai l’impression qu’il a toujours été aussi moelleux qu’il l’est à présent. Presque dignement. Elle entre dans le salon avec un plateau incroyablement démesuré pour mon chocolat chaud, qui doit s’ennuyer égaré au milieu de ce vaste désert. C’est déjà le deuxième, mais seulement le premier que je vais boire. Elle s’assoit en face de moi, comme la dernière fois, puis le chat la rejoint. Tout est calme. Et reposant. On n’entend que les foulées de la trotteuse qui semble marcher de plus en plus lentement, tel un promeneur essoufflé. Et moi je crois m’envoler, enraciné dans un fauteuil d’avion, mais moelleux comme celui du salon, un avion que le pilote mènerait au ralenti pour permettre à ses heureux voyageurs d’apprécier le paysage dans son entière totalité. Le paysage est d’abord un tapis, tendre, carré, à l’exact centre de la pièce. Puis les murs. Les murs sont ornés des papiers peints les plus démodés, aux motifs si détestablement récurrents. La table basse imite le tapis, elle aussi carrée et à cet exact centre tant convoité. Les deux fauteuils scrutent le canapé pendant que leurs angles caressent ceux du tapis. A gauche la fenêtre s’apprête à arbitrer le combat opposant l’armoire à l’horloge. A droite la commode et la porte se sont endormies en attendant la début de l’affrontement. Ce salon ressemble aux lieux habités par des gens bizarres ou en quête de perfection. Des lieux désinfectés de la moindre miette de passé. Il leur ressemble quelques minutes, puis devient fondamentalement différent. Irréversiblement. Ici la perfection semble avoir été atteinte, voire même dépassée. Maîtrisée. Humiliée. Chaque élément est à sa place, la place où sa fonctionnalité est optimale. Et rien n'est inutile. Même parmi les objets, fièrement représentés par le téléphone, des post-it et un stylo-bille, on ne trouve aucun parasite visuel comme ceux que ma mère désigne par le si glorieux terme qu’est « bibelots ». Ici l’harmonie prend une ampleur impressionnante. Chaleureuse. J’avais toujours cru que l’harmonie renvoyait à un système surréaliste. C’est révolu. « Ce regard... Tu n’as pas changé. » Ses yeux pétillent comme ceux d’une enfant hypnotisée par la féerie d’un conte. Je débarrasse mon visage de mes cheveux pour afficher efficacement mon interrogation. « Je te connais depuis longtemps. Plus précisément depuis toujours, en ce qui te concerne. Un jour je te dirai tout, je te le promets... Bois ton chocolat. Il perdrait de sa saveur au cours d’un séjour dans le four à micro-ondes. » Puis elle sourit doucement. Subitement je repense à ce conte pour enfants où la vieille sorcière offrait une pomme empoisonnée à l’innocente princesse. Je baisse les yeux sur mon bol, compte jusqu’à trois, et ingurgite la grande moitié du liquide, sans trembler. C’est bon. Vraiment bon. Je ne savais pas qu’un chocolat chaud pouvais être aussi délicieux... Assez rêvassé. Je relève les yeux, esquive une mèche, dépose mon regard sur l’horloge, et attends le moment où je m’évanouirai... Le temps passe un peu. Mais rien ne vient tacher la précieuse harmonie du salon de la petite dame. | |
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