Fragment #95 - De l'amour et du mépris

Les portes de l'ascenseur se ferment sur Babeth qui quitte mon appartement. Je sens que quelque chose s'est brisé dans mon coeur, que le lien entre nous est corrompu. Je lui ai raconté l'obtention de mes deux emplois, m'attendant à un sourire, un commentaire. On attend toujours quelque chose, non ? Rien. Aucun mot. Elle a continué de boire son thé, comme si de rien n'était. J'aurais tout aussi bien pu ne rien dire. Babeth est ensuite repartie sur des sujets de conversations plus intéressants, plus passionnants selon elle. C'est vrai que ma vie n'a rien de palpitant, mais c'est ma vie et je ne permettrai à personne de la juger, de la mépriser. Car c'est ce qui se cache derrière ce masque d'indifférence glaciale, une grande étendue de mépris, une vaste lande sur laquelle souffle la bise de son dédain. Je déteste cette arrogance en elle, cette certitude de sa propre supériorité évaluée à l'aune de ses propres valeurs. Elle ignore ce mépris en elle et l'habille d'objectivité. Mais sa propre vie, ses histoires d'étudiants en thèse, de prof de fac et autres ne sont pas plus passionnantes que les miennes. Pourtant moi je m'y intéresse car je l'aime et ce qui la touche est digne d'intérêt.
Peut-on aimer quelqu'un et le mépriser ? Oui, surement.
Puis-je aimer quelqu'un qui me méprise ? Oui. De loin.
Alors que je termine ma tasse de café, je me rends compte que mon choix est arrêté. Dorénavant, j'aimerai ma soeur de loin, pour ne pas me bruler. Dieu que j'aimerais une dose de nicotine et une bouffée de fumée pour m'apaiser.
Je sais que ma déception passera et que je la rappellerai, mais, toujours, je douterai du regard qu'elle porte sur moi, de son amour.
La douche fait fuir ces sombres pensées tandis que je me prépare à aller travailler.