Shedar
| Sujet: Fragment #32 - Prisonniers de la faiblesse et cœurs de miel 11.04.08 12:38 | |
| Dimanche 28 octobre 2007 à Dijon La clinique Saint Lucas. Une ruche frontalière, d’espoir et de blouses blanches, d’anges au coeur de miel. Mais sans aile. Mais qu’importe. Ils sont les anges d’avant la mort. Sur ce chemin, ils accompagnent vers la fin les âmes qui ont choisi. Raccompagnent celles qui hésitent encore. Vers la vie. Dans la vie, je suis au bord du tapis. Mon prochain pas autorisera les portes automatiques à se refermer derrière moi. Surtout, mon prochain pas me rapprochera un peu plus de toi. Ils me l’ont tous dit tu sais. Tes parents les premiers, puis Michelle. Finalement je suis venu. Enfin presque, j’arrive. Je n’ai rien apporté sauf d’interminables et minables raisons que je me suis entraîné à bafouiller, juste pour toi. Je m’approche de l’accueil, pose mes mains sur le comptoir, toute mon autorité dans mon regard et mon regard dans celui de la grosse dame au téléphone, qui fait des mouvements bizarres avec sa tête pour me faire comprendre que je dois attendre, un peu... Puis encore un peu... Jusqu’à ce que j’en ai un peu marre, d’attendre. Attendre, c’est s’enchaîner de patience, et serrer... et serrer... encore un peu... jusqu’à ce que ça casse. Désormais je suis mon propre guide dans un labyrinthe que je ne connais pas, où cette odeur envahit, dérange à l’intérieur. « Bonjour, je peux vous aider ? » Sursaut. C’est un jeune homme, à la voix plutôt sincère. Interne, d’après l’étiquette. « Euh... oui. Je cherche la chambre de Déborah Spinner. - Dans quel service ? - Je sais pas... Elle était dans le coma, elle s’est réveillée il y a trois semaines. - Je suis nouveau, je travaillais pas encore ici il y a trois semaines, mais je vois dans quelle chambre elle est. Vous êtes de la famille ? - Pas exactement. - Son petit ami ? - Euh, non plus. - Mais je peux pas vous laisser la voir alors, on vous a pas dit à l’accueil ? » Non, pas ça... Vite, il me faut un mensonge... Son petit ami. « En fait on a rompu peu de temps avant son accident... c’est presque pareil... - D’accord, ça me va comme ça. C’est juste que je veux pas avoir de problème, c’est tout... » Il m’accompagne jusqu’à la chambre de Déborah et me donne quelques recommandations avant de me faire entrer. Pas trop de bruit, ne pas la fatiguer, et cætera. Je le savais, pourtant de l’autre côté... De l’autre côté c’est encore un autre monde, de repos, de silence. Un silence léger. Un silence pur. Le moindre geste est suivi de la peur de déranger. De décevoir. C’est la première fois que je vois Déborah si peu vivante. Elle est étendue sur son lit, vêtue de l’uniforme des prisonniers de la faiblesse, liée à toutes ces machines qui écoutent son corps ou le nourrissent. J’avais peur qu’elle ne sourie pas, mais si. Même si doucement... Je m’approche doucement moi aussi... | |
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