Fragment #105 - Après, rien ne compte

Le soleil brille dans le ciel de mai et dans Montmartre flotte une odeur de vacances. Les touristes déambulent tranquillement, dégustent crêpes et glaces tandis que les parisiens, toujours pressés, redécouvrent un rythme un peu plus lent.
Le soleil frappe mes épaules dénudées par un marcel bleu foncé. Assis sur un banc en haut de ma rue, place Émile Goudeau, j’observe passer les amoureux du mois de mai qui gravissent ensemble, main dans la main, le chemin vers le Sacré-Cœur. La lumière du soleil donne une couleur de miel aux murs des immeubles tandis que les insectes et autres moustiques bourdonnent dans l‘air immobile et lourd qui porte déjà en lui une promesse d’orage et de pluie.
C’est mon jour de repos, le jour où je peux faire ce que je veux, mais c’est un jour inutile. Je n’ai personne avec qui partager ce temps libre, avec qui savourer ce beau temps. Quand on est seul, on se pose toujours un jour ou l’autre cette question qui fait mal et qui blesse : qu’est-ce que j’ai de moins qu’un autre ?
C’est vrai, il parait qu’il faut attendre, que la bonne personne finit toujours par arriver. Mensonge. On vit dans une société où consommer les relations est la norme, où les couples se trompent à tout va. J’aimerais pouvoir trouver quelqu’un qui comptera, à qui je donnerai tout ce que j’ai à offrir. J’aimerais trouver quelqu’un qui méritera cet amour et qui réalisera la chance qu’il a, l‘honneur que je lui fais. J’aimerais trouver quelqu’un qui me donnera en retour l’amour et le respect que je mérite.

Je regarde ces couples qui marchent main dans la main, qui se sourient et s’aiment publiquement et je voudrais leur demander de me murmurer tout bas quel est le secret d‘un amour vrai.

Mais ces gens qui affichent un bonheur sans nuages, peut-être ne font-ils que l’afficher. Quelles douleurs peut-on deviner derrière ces regards énamourés, quels mensonges enfouis, oubliés pourrait-on lire dans leurs pensées ?
M’a-t-il trompé ? M’est-elle fidèle ? Est-ce qu’elle m’aime autant que je l’aime ? Trouverais-je mieux que lui ailleurs ?

Peut-être que je me trompe, peut-être suis-je cynique et désespéré. Je ne sais. Au bout du compte, la seule force de l’amour c’est d’y croire. Après… Après, rien ne compte.

Mes épaules rougies me ramènent à la réalité du moment, à la chaleur de l’instant. Je reprends mon livre et l’ouvre à la page indiquée par mon marque-page. J’ai démarré ce livre ce matin, dans la salle d’attente de la clinique Alleray-Labrouste, et je l‘ai déjà presque fini. L’attente a été longue, mais elle me semble ridicule par rapport au sentiment que j’éprouve maintenant, à attendre mes résultats.