Fragment #33 - De part et d'autre de la porte

En rentrant chez moi, j'ai croisé cette fille arachnéenne qui vit en-dessous de chez moi. Depuis que son frère a perdu définitivement l'usage de ses jambes, suite à un « empoisonnement mystérieux », elle ne fait plus du tout la maligne. Je lui adresse un bonsoir chaleureux, injecté de vengeance bienheureuse.
La porte de mon appartement claque violemment derrière moi et le bruit résonne dans le couloir un moment. Je me fais un plaisir à marcher en talons pour enrager ma voisine du dessous. Avec un peu de chance, je finirai par la rendre folle et la pousser au suicide. Avec un peu de chance, un bel homme ténébreux viendra la remplacer, et m'emportera avec lui dans de folles nuits d'ivresse et de débauches, à deux pas de mon pallier.
Dans la salle de bain, je revois la couleur de mon sang, superposé en pensée à la blancheur du carrelage. Ce salaud m'a démonté la tête parce que je faisais du bruit, cette pute en crèvera de douleur. Je ne suis pas touchable. Je suis une déesse et je ne fraie pas avec la plèbe. Tu t'en prends à moi, tu payes les conséquences. Point barre. J'aime être intransigeante et péremptoire, j'aime me sentir puissante. Un vent de pouvoir souffle entre mes mains depuis quelques semaines. J'en suis grisée.
On frappe à la porte. Mon coeur se met à trembler. Est-ce qu'il est revenu pour me hanter ? Est-ce qu'il va me faire mal ? Je cours dans la cuisine pour attraper un couteau, frissonnante, reviens jusque dans l'entrée sur la pointe des pieds, jette un oeil à travers le judas.
« C'est Eliott, ouvre-moi. »
Merde, qu'est-ce qu'il fout là lui ?
« J'ai pas le temps ce soir. Tu veux quoi ?
- Te dire au revoir, laisse-moi entrer.
- Je suis pas ton amie Eliott, comment tu sais que j'habite ici ?
- Je t'ai suivie ce soir. S'il-te-plait, ouvre, il faut que je te parle.
- Ton train pour Bruxelles t'attend.
- Je sais, dépêche-toi.
- Non. J'ai pas envie de te parler.
- Tu sais très bien que tu me plais. »
Merde. Je redoutais un truc du genre depuis le début.
« Dégage Eliott, je suis ta supérieure et j'ai pas envie de quoi que ce soit avec toi, c'est clair ?
- T'es plus jeune que moi et tu me parles comme si j'étais ton chien. »
Mais c'est le cas, abruti. Alors lâche-moi et va prendre ton train pour la Belgique.
« J'ai passé ces derniers temps à draguer le frère de Julian, tu sais, le gay. Ca m'a bien éclaté de le voir s'amouracher. Même si au final, il est sympathique.
- Pourquoi tu me dis ça ?
- Parce que je le trouvais ridicule et ça m'amusait, et j'ai peur que tu penses la même chose de moi. Je veux pas être ridicule à tes yeux.
- Je pense rien de toi Eliott, je veux juste que tu partes.
- Juste une nuit. S'il-te-plaît, ouvre-moi. »
Juste une nuit. Je pourrais le baiser, il n'est pas si mal. La pensée de sa soeur carbonisée dans un sac poubelle me revient en tête et je ferme les yeux. L'appartement est plongé dans la pénombre, le silence de l'autre côté de la porte a quelque chose de terrifiant.
« S'il-te-plaît Maya.
- Dégage. »