Fragment #52 - Saisir sa chance

Une grosse enveloppe dépasse de ma boîte aux lettres. Je l'attrape, les doigts frémissants. Est-ce une réponse tant attendue à l'un des innombrables CV dont j'ai noyé les boîtes de production parisiennes ? Vais-je enfin trouver un boulot, sortir de la galère financière et de ce moral grisâtre ? Est-ce que ce temps de merde qui pèse sur la capitale ira voir ailleurs si j'y suis ?
Je remonte chez moi, la lettre à la main, j'en courrais presque. La porte claque derrière moi, mes ongles arrachent le papier et en sortent un document relié, sur lequel est collé un post-it jaune fluo. Un petit mot griffonné dont l'écriture m'est étrangement familière.

Voici le manuscrit du roman de Julian. Il a été refusé par mon ami éditeur et je trouve ça dommage, ça me semblait franchement bon, d'un point de vue scénaristique en tout cas. Tu en penses quoi ?

PS : et si on allait boire un café un de ces quatre ?

Je relis plusieurs fois le post-it avant de le froisser d'un geste brusque. Mon coeur est à Damien désormais, et toi Simon, tu n'y as plus ta place. Je m'assieds sur le canapé, le manuscrit à la main, une tasse de café froid dans l'autre. Je commence à feuilleter l'imaginaire de Julian imprimé sur le papier. C'est l'histoire de deux clans ennemis, de familles entremêlées, de personnages au pouvoirs étranges. Un camp cherche le moyen d'accéder à un trésor secret que l'autre camp a éparpillé et caché. Je pénètre dans l'histoire, happée, fascinée. Julian écrit comme un virtuose, je l'avais presque oublié. Julian est un seigneur de l'encre. Comment ces abrutis d'éditeurs ont-ils pu ne pas le voir ? Comment ont-ils pu refuser de sortir son livre ?

Un brin de mauvaise conscience m'assaille le cœur, et je le chasse rapidement. C'est peut-être le destin qui vient frapper à ma porte. Une chance inestimable, il faut la saisir sans attendre. Je ne dois pas avoir de scrupules. Alors j'empoigne mon téléphone, recherche le numéro d'Emilie, cale le portable entre l'épaule et l'oreille, écoute la sonnerie s'enclencher.
« Allô ?
- Bonjour Emilie, c'est Laura Firent, on s'est rencontrées l'autre soir chez Gautier, j'étais une amie de Christophe, je ne sais pas si tu te souviens...
- Une petite brune férue de cinéma, il me semble ?
- Exact. Tu m'avais dit que vous cherchiez des idées pour une série télé...
- C'est toujours le cas oui, tu as quelque chose en tête ?
- En fait, j'ai un scénario en béton à vous proposer... »