Fragment #38 - Amanita pantherina

« Finalement je crois que je vais rester chez Michelle. C’était pas du tout prévu mais à force d’apporter des trucs je m’installe tout doucement... Je me sens bien là-bas alors pour l’instant j’ai pas envie de partir... Ca m’embête un peu parce que je lui avais dit que c’était que provisoire et on n’en a pas reparlé depuis. Elle a pas l’air contre mais j’aimerais quand même lui demander. Mais je sais pas comment... Enfin tu vois, c’est pas comme si...
- Bonjour !! Tiens Déborah je t’apporte encore un peu de contrainte, j’ai oublié ceux-là ce matin.
- Ah merci Théo.
- Je mets ça où ?
- Pose-les là, sur la table.
- Voilàààà ! Bon allez, je vous laisse les amoureux. A plus ! »
Silence caniculaire. Le mensonge de ma première visite. Je ne pensais pas qu’il s’en souviendrait. Surtout je ne pensais pas qu’il ressurgirait si facilement, si brusquement... Je ne dois rien dire à Déborah. Ce n’était qu’un mensonge pour pouvoir la voir mais elle ne s’arrêtera pas là je le sais. Elle se posera des questions, elle me posera des questions, pourquoi ce mensonge et pas un autre... Non je ne dois rien lui dire. Et puis un silence n’est pas comme un mensonge de plus. J’espère qu’elle n’aura pas la dangereuse idée de m’interroger avant que je ne trouve autre chose à dire pour abattre ce silence infernal...
« C’est pour quoi ceux-là ?
- Presque rien, juste parce que j’ai un peu mal à la gorge. C’est pour ça qu’il les a oubliés, ils font pas partie du traitement.
- Ils te laissent sortir un peu plus souvent maintenant ?
- Oui. Du coup j’en ai profité et je me suis faite avoir. Je prenais pas froid comme ça avant. »
Je saisis la boîte du médicament, la tourne et la retourne dans tous les sens, en quête d’inspiration...
« A l’IUT y en a qui viennent de pharma et même de médecine. C’est un peu comme les STL, il y a des matières qu’ils ont déjà eu, ils connaissent déjà un peu. Au début ça se voyait pas trop, en labo on manipule aussi bien qu’eux, mais cette semaine on a eu le dernier cours de maths et le premier de microbiologie alors on y repense, on en reparle... Les maths c’était sympa, on foutait presque rien et les contrôles se passaient bien. La microbio c’est pas la même couleur. Rien que le premier cours, ça parlait que de bactéries, de levures et de champignons... »
Et Déborah me regarde bizarrement. Je le sens. Elle sait autant que moi qu’avec mes banalités j’essaie de masquer ce qu’a dit Théo, d’en retarder les conséquences... Un mensonge, ça suit son auteur comme un félin traque sa proie. Il attend le pire moment. Un mensonge c’est comme un gros champignon qui mute en silence. Un champignon comestible avec Théo la première fois, toxique aujourd’hui avec Déborah.