Fragment #97 - Des fleurs de feu pour conjurer la Mort

L'artificier et le fleuriste se ressemblent étrangement. Le second assemble des bouquets, des couleurs et des parfums, le premier choisit ses plus beaux boutons, des explosions, des fleurs de feu. Il joue sur l'odeur de la poudre et colore les étincelles. Le ciel tout entier est pour lui comme une palette. Rachel, à côté de moi, crie à chaque bruit de pétard. Elle me tient le bras, le serre quand elle a peur. Nous sommes si proches, et pourtant je me sens si loin. Il y a tous ces gens autour de nous, ces voix, ces odeurs, ces corps. Je les balaie du regard, m'arrête sur des hommes bien dessinés, attrape leur regard pour y injecter un peu de condescendance. Je contemple la foule et la foule me fait peur. Elle ignore ce que je suis, au fond. Elle croit que je ressemble à ce garçon mignon, à cette jeunesse fraîche et insouciante. La foule ignore que ce n'est qu'un vernis.
Je suis Dorian Gray. Si l'on peignait mon âme, ce serait avec du fumier et des vers, et la toile grouillerait de mes vices et de mes horreurs intérieures. Je me sens sale. J'ai l'impression que ça se voit sur mon visage. La créature avilie que je suis devenue, et qu'aucun savon ne nettoiera jamais. Je suis sali jusqu'au plus profond de mon coeur. Je me suis jeté dans les bras des hommes les plus immondes. J'ai accompli mes pires fantasmes. Désormais, je n'attends plus rien de la vie, hormis une longue et monotone recherche de jouissance, comme une mouche en quête de détritus à manger.
Des suées m'envahissent. Je crois que je vais tomber. Retenez-moi, sauvez-moi. Est-ce que vous ne voyez pas que je m'enlise dans toute cette fange ? Est-ce que vous ne pouvez pas lire entre les lignes de mes yeux et y sentir la détresse et la mort ?

Je voudrais tant m'écrouler sur le sol et me réveiller dans tes bras, Robin.
Je voudrais tant que les choses aient pu être autrement.