Fragment #12 – Avant le départ

Ben et Luis chargent la voiture, sous le regard apathique de la jeune locataire obèse, qui, ayant renoncé à la balançoire qui ne supportait pas son poids, s'est rabattue sur une chaise longue. Je trempe mes pieds dans l'eau de la piscine. Dans le scintillement du soleil à la surface du bassin, j'entraperçois les cheveux d'or de la princesse aquatique, et son sourire me réchauffe le cœur. Il va falloir que je vous quitte, Votre Altesse, car nous repartons aujourd'hui à Paris. Je laisse ici les secrets que je n'ai pas su tirer de leur fourreau, et les mystères qui flottent dans les ombres sous l'eau. Entre vos mains, ils reposeront une année durant, jusqu'à mon retour.
« Enki ? »
C'est la voix de maman. Elle vient par derrière et s'assied sur le rebord du bassin. Ses jambes entrent dans l'eau et s'y balancent un peu, et ses talons comme les miens heurtent doucement la paroi couverte de mosaïque bleue.
« Tu es triste de partir ?
- Oui.
- Moi aussi. »
Nous savons que Ben reprend le travail demain, il est inutile de s'en plaindre ou de proposer qu'il reparte sans nous pour que nous puissions rester à la villa un peu plus longtemps. Ben rentre à Paris et nous l'accompagnons.
« Maman ?
- Oui ? »
Je n'arrive pas. Ça ne veut pas sortir. C'est un peu comme une boule au fond de ma gorge, un truc douloureux qui ne passe pas. Je regarde maman et son regard me brûle, je baisse les yeux, j'avale ma salive. Et mon cœur, soudain, palpite et s'emballe, et le sang dans mes veines s'excite et s'étale. Il faut que je le dise, il faut que je me force. Il faut que je confronte maman et son passé, que je perce les non-dits et que j'éclate la vérité. Alors je ferme les yeux, et je dis d'une voix tremblante :
« Je voudrais que tu me parles de papa. »
Un voile passe sur son visage, comme l'aile d'un oiseau sombre. Maman baisse les yeux dans l'eau, où les remous translucides traversent les années. Je voudrais discerner les mêmes fantômes, lire entre les lignes de sa mémoire, m'y plonger. Mais maman sourit et répond, cruelle :
« C'était juste un garçon de passage. Il n'en vaut pas la peine. »
Les eaux noyées d'encre et de chlore se referment sous nos pieds.