Fragment #18 – Entrée en Sixième

Le principal du collège Gérard de Nerval est à l'image de son établissement. C'est un tout petit homme, à l'air sévère et chaleureux à la fois. Il faudra que je fasse un article sur mon blog pour compléter le statut Facebook de ce matin : Enki Escobar rentre en sixième aujourd'hui.
Lorsque maman et moi avons franchi le portail, j'ai senti mon coeur faire des bonds un peu partout dans ma poitrine, et mes jambes manquer de se dérober sous moi. Les autres garçons regardent maman avec un air étrange, il y a même des grands (sans doute des troisièmes) qui la sifflent quand elle passe devant eux. Je voudrais soudain que la terre s'ouvre sous eux et qu'ils tombent dans des gouffres sans fonds. Ou juste que maman s'en aille et me laisse seul. Puis, j'entends que l'on crie mon prénom et me retourne, et Ninon, Lou et Axel courent vers moi et me sautent dans les bras. Nous sommes tous émus de nous revoir après deux mois de vacances, nous rions et parlons fort, nous avons tant de choses à nous raconter. Maman me glisse à l'oreille qu'elle ferait mieux de me laisser, avec un petit sourire, et elle m'embrasse sur la joue, rien que pour m'embêter. Je deviens rouge comme un crabe sous les regards des autres collégiens. Lou commence à raconter son voyage dans les îles méditerranéennes, et nous pâlissons d'envie.
Bientôt, le principal, monsieur Maréchal, nous appelle un à un pour nous répartir dans les différentes classes. Chacun leur tour, les élèves s'avancent devant la foule entière et rejoignent une petite dame grassouillette qui attend à la gauche du principal. A sa droite, je remarque une longue femme aux cheveux courts et blonds pâles, portant un tailleur gris, la bouche fermée tel un bec autoritaire et cruel. Elle dévisage les élèves comme un aigle qui scrute son gibier.
« Enki Escobar. »
Je sens mon coeur se contracter et devenir lourd, et je m'avance hors de la foule pour rejoindre le principal. Tous les regards sont braqués sur moi, je le sais, et je voudrais disparaître, ou courir pour que tout soit fini. Les quelques pas qui me séparent de la petite dame grassouillette me paraissent interminables, et quand je parviens à ses côtés, je lève les yeux vers elle, espérant un sourire de réconfort, mais elle m'ignore froidement et seul le grand aigle à la droite du principal m'accorde un regard glaçant.
Ninon ne tarde pas à me rejoindre, et nous nous réjouissons de n'avoir pas été séparés. Nous espérons tous deux que Lou et Axel seront dans la même classe que nous, mais le principal achève son appel pour s'adresser à nous autres, Sixièmes 1. Il nous présente la petite dame grassouillette, mademoiselle Bigot, qui sera notre professeur principal (j'ignore ce que cela signifie concrètement), et notre professeur de français. Celle-ci, qui me paraissait sympathique de loin, ouvre enfin la bouche pour lancer d'une voix criarde :
« Les Sixièmes 1 vous me suivez en rang deux par deux sans traîner ! »
Je me place à côté de Ninon et lance un regard déçu vers Lou et Axel, que les forces supérieures du collège ont cruellement séparé de nous. En silence, nous pénétrons dans l'établissement.