L’automne est finalement arrivé avec, dans ses bagages, le vent qui décoiffe les filles, la pluie qui fait fuir les passants. La place du panthéon voit passer des silhouettes furtives qui rentrent précipitamment, qui se hâtent vers le foyer, ou bien vers un café. J’aime l’automne. C’est le moment des nouvelles rencontres, le temps où l’on s’absorbe dans les études, le travail, requinqué par les vacances d’été. On s’ouvre peut-être plus aux autres, on a faim d’autre chose.
Des gouttes giclent du trottoir à chacun de mes pas et inondent le bas de mon jean qui se colle à mes mollets. Mon trench me semble soudain bien léger face à ce mois d‘Octobre.
« Hey ! Hey !
Une jeune fille cours derrière moi. Elle est jolie. Je m’arrête pour lui permettre de me rattraper, elle était en cours avec moi ce soir.
- Excuse-moi mais tu pourrais me passer la fin de ton cours pour que je le recopie rapidement ? Je te paye un café pendant ce temps. S’il te plait.
- C’est que je suis pressé, pourquoi pas une autre fois ?
- Parce que je sais que je vais oublier, j’ai une mémoire pourrie pour ces choses là. Ça prendra juste un petit quart d’heure… S’il te plait.
Son sourire est adorable, même si son regard de cocker est plutôt raté.
- Bon d’accord. On a qu’à aller à l’écritoire place de la Sorbonne.
- Merci, c’est vraiment cool. J’ai demandé à trois filles mais elles m’ont envoyé paître et le temps que je regarde autour de moi tout le monde était parti. »
Nous marchons rapidement vers le café en devisant de choses et d’autres. Elle vient de Bruxelles, elle s’appelle Lucie et elle a 23 ans. Elle habite rue de l’école de médecine dans le 6e depuis une semaine et ne connaît que sa tante à Paris.
Le café est noir de monde. Nous nous glissons à une table et je commence à sortir le cours de droit des contrats. Tandis que je bois mon café, elle recopie rapidement les 20 lignes qui lui manquent. Son écriture est gracieuse, élégante. Une écriture du siècle dernier, de grande dame. Elle écrit au stylo plume alors que la plupart des étudiants se munissent d’un stylo bic. Même son style vestimentaire est vieillot quoique élégant. Nous n’avons pas parlé pendant qu’elle écrivait, sauf pour la renseigner de temps à autre sur mes abréviations. Elle relève la tête et me sourit :
« Fini !
- Félicitation, tu n’as mis que cinq minutes sur le quart d’heure accordé.
- Bien, dans ce cas tu vas pouvoir me parler de toi pendant les dix minutes qui restent. Je ne sais même pas ton prénom.
- Maël. Mais ces filles, de tout à l’heure, ont vraiment refusé de te prêter leurs cours ?
- Oui, l’une écrivait trop mal pour prêter ses cours, soit disant… L’autre écrivait sur Mac et la dernière s’est contentée de me regarder comme si j’étais une extra-terrestre. C’était assez humiliant, surtout quand elles ont ri quand je suis partie.
- Waouh ! J’avais senti que l’atmosphère n’était pas à la camaraderie mais à ce point là ?
- D’après ce que j’ai compris, quand t’arrive en master et que tu ne fais pas partie de leur cercle élitiste, tu peux te gratter…
- Bon bah dans ce cas on va se faire un cercle élitiste à deux si ça te dit. »
Elle rit de bon cœur, découvrant des dents blanches. Elle a un rire de gamine, un rire qui sent bon l’innocence, ses yeux pétillent d’une joie de vivre que je n’avais pas vu depuis longtemps dans des yeux parisiens. Même Elyan n’a pas cette innocence au fond des yeux. Lui c’est un coquin.
*******
Mon téléphone vibre dans ma poche.
« Excuse moi.
Je regarde le sms d’Elyan : « Tu fais quoi ? »
- Je suis désolé je vais devoir y aller, on m’attend…
- D’accord. Ah oui, il est déjà vingt heures trente. Désolé ça ne devait être qu’un quart d’heure...
- Pas grave, tu te rattraperas. On se retrouve demain devant la fac ?
- Ouais, super. A demain. »