Fragment #29 - Après-midi avec Adva

« Il fait moche, hein ? »
Adva s'est assise à côté de moi en cours de musique. Nous rangeons nos affaires pour aller manger, tandis que monsieur Perrot donne des exercices pour la semaine prochaine. Il va falloir que je m'achète une flute, mais maman n'a pas l'air disposée à dépenser quoi que ce soit depuis le départ de Ben. Peut-être que mes économies suffiront.
« Tu veux passer chez moi cet après-midi ? »
Adva me regarde avec étonnement. Je crois que je deviens écarlate.
« Mes amis ne sont pas là, et puis on pourrait faire nos devoirs tous les deux.
- Oh, dit-elle, ok, pas de problème. C'est quoi ton adresse ?
- 127 rue Vieille du Temple. Pas très loin du collège.
- D'accord. Je demande à ma mère et je te dis ça sur Facebook, d'accord ?
- Parfait. Après manger si tu veux. Vers 14h.
- Ca marche ! »
La petite araignée s'enfuit, et je regagne mon chez-moi. L'air est froid, le ciel d'un blanc écœurant. Je sens des gouttes tomber sur mon visage de temps en temps, mes pieds font des flic et des floc sur le trottoir mouillé. Ce midi, je mange avec mamie et son père, au rez-de-chaussée. Ils me demandent comment ça se passe au collège, et je réponds que tout va bien.
« Comment ?
- Je dis que tout va bien, mamie.
- Allô ? Enki ?
- TOUT VA BIEN !
- Ah... tant mieux mon petit...
- Qu'est-ce qu-qu'il a d-dit ? surenchérit mon arrière-grand-père.
- Il dit que tout va bien à son école !
- Comment ?!
- Roh ! Sourd comme un pot celui-ci ! grogne mamie en retournant à ses fourneaux. »
Je souris un peu, et puis je pense à Adva. A quatorze-heure, je me poste à la fenêtre de ma chambre pour guetter la rue, et bientôt je la vois arriver, comme annoncé via Facebook, petite ombre noire repliée sur elle-même comme un insecte disgracieux.
Je descends lui ouvrir et l'emmène directement au premier. Nous nous installons à la table de la cuisine pour faire nos devoirs de mathématiques. Adva est une fille assez intelligente, c'est certain. Elle trouve comme moi que les exercices que l'on nous donne au collège sont d'une bêtise attristante. Peu à peu, les heures de l'après-midi s'écoulent, grises, mais nous continuons à travailler pour prendre de l'avance dans le programme. Je me sens terriblement bien.
« Tu aimes aller à la piscine ? elle me demande, comme si de rien n'était. »
Je relève les yeux de mon cahier d'exercices et la regarde. Elle a toujours la tête plongée sur ses calculs et ses cheveux noirs tombent autour d'elle comme une pluie de ténèbres. Comme je ne réponds pas, elle redresse la tête et plante dans mes yeux ses deux prunelles de fer incandescent.
« Pourquoi tu me demandes ça ? je dis.
- Pour savoir. On pourrait y aller un jour. J'aime bien. »
Elle répond d'un air détaché, et reprend ses devoirs sans me prêter attention. Mais je ne suis pas né de la dernière pluie, et je le sens avec une sinistre clarté : Adva sait quelque chose à mon sujet.