Fragment #8 - Le Comble du Mauvais Genre

Ce n'est pas un bordel.
On ne partouze pas, on ne se drague pas. A part quelques folles identifiables, tout le monde est hétéro. On se change entre hommes, bien sûr. La mixité ne serait pas convenable. Là haut, on sourit aux dames par courtoisie. Et parce qu'elles sont jolies.
On ne se mate pas, on s'estime, on se respecte beaucoup. On vient ici pour s'entretenir, se sentir bien.
Mais c'est un peu la cour de récré. Parce qu'entre hommes, il s'agira toujours de savoir qui est le plus fort. On est encore à celui qui pisse le plus loin, à celui qui aura la plus grosse. Ça sent le mâle. On est entre coqs. On y exalte les valeurs viriles. Ce qui compte ici, c'est la force, la puissance, l'effort.
On parle parfois, pour partager une machine, pour « tourner », dit-on. Et pendant le repos, on regarde le geste de son camarade, qui a l'air de s'y connaître un peu plus, à en juger par ses muscles plus épais. On se dit qu'en faisant pareil, on sera peut-être aussi musclé. D'ailleurs, c'est pour cela qu'on a choisi de partager avec lui. Parce qu'il est le plus musclé, le plus athlétique.
Avant, les douches étaient collectives. On se jaugeait, on s'admirait discrètement. En fuyant le regard des autres. Maintenant, on trouve des cabines individuelles. Les regards ont changé. On voit les autres se rhabiller, on voit disparaître un à un les muscles qu'on aura bientôt, le regard vague, déconcentré.
Bientôt, on sortira, on remettra le masque quotidien.
Alors entre un jeune homme, à peine sorti de l'adolescence, frais, beau, sans défaut. En peu de temps, tous les regards se sont portés vers lui. On le regarde avec curiosité, avec peut-être une pointe de jalousie. On aimerait être encore comme lui. On aimerait surtout pouvoir encore séduire quelqu'un comme lui. On le regarde avec une pointe d'envie, avec désir.
Le masque est tombé.
On regarde l'éphèbe se déshabiller, faire apparaître une à une les formes qu'on ne peut pas toucher, on l'admire avec obsession, concentré. Dans les douches, les regards ne sont plus furtifs. On fixe celui qui est en face, ouvertement, avec insistance. On ne se jauge plus, on se mate. On cherche le regard de l'autre.
Celui avec qui on a « tourné », bien sûr, on l'a choisi parce qu'il était le plus beau, le plus désirable. Pendant le repos, on a regardé ses muscles, son corps, on l'a désiré, en se disant qu'on partagerait bien plus qu'une machine avec lui.
C'est l'attraction, l'apparence, la beauté qui comptent ici. Et les valeurs n'ont rien de viril. On est entre poules. Ça sent le parfum Diesel. C'est à qui sera le plus beau. A celui qui s'offrira la plus grosse, celui qui chopera le plus beau. Parce qu'entre gays, il s'agira toujours de savoir qui sera la plus belle pour aller danser. Ce n'est pas la cour de récré, c'est le dancefloor du Queen.
On vient ici pour se montrer, pour se sentir beau. On se mate, on s'évalue, on se méprise un peu.
On sourit aux dames par manque d'imagination. On ne saurait pas quoi leur dire. La mixité n'est pas souhaitée. On préfèrerait se draguer entre hommes. Tout le monde est gay, à part quelques hétéros identifiés. On ne se drague pas, on ne partouze pas.
Ce n'est pas un bordel. Mais il en faudrait peu.

Ah oui ! C'est là que j'avais rencontré Romain.