Fragment #34 - Confidences

« Pourquoi tu n'étais pas en classe ces derniers jours ?
- J'avais l'appendicite. Et ils m'ont gardée plus longtemps que prévu.
- Oh. Et ça va mieux ?
- Beaucoup mieux oui. Et toi, c'est vrai que tu as fait une fugue ?
- Tout le monde est au courant dans le collège ?...
- C'est juste une rumeur, tu sais.
- Mais c'est pourtant la vérité. »
Adva et moi discutons à la sortie du collège. Je n'ai aucune envie d'aller à mon cours de théâtre, parce que Mickael m'inquiète, et parce que je n'ai pas confiance en moi ni en les autres. Depuis des jours, Ninon ne me parle plus et je n'ai pas l'occasion de voir Lou et Axel. Adva n'a fait son retour qu'aujourd'hui, mais je suis resté seul pendant toute la semaine.
« Je suis content que tu sois revenue.
- Merci. Ca me fait plaisir de te revoir aussi, tu sais.
- Il faut que j'aille à mon cours de théâtre...
- Mais tu veux pas me dire pourquoi tu as fugué de chez toi ?
- C'est pas très intéressant, tu sais...
- Moi ça m'intéresse beaucoup.
- Disons que je ne supporte plus cette famille.
- Qui supporte sa famille ?
- Personne, je crois, mais moi je n'en peux vraiment plus de celle-là.
- Et tu en as une de rechange ?
- Peut-être que oui, justement.
- Comment ça ?
- C'est un peu long à expliquer... »
Adva s'assied sur le muret qui borde la haie du collège. Je sais que je vais être en retard au théâtre, mais je crois que je n'en ai rien à faire. Alors je me place à côté d'elle et commence à lui raconter mon histoire, avec la piscine, et l'Espagne, et maman si jeune, et l'ombre de mon père. Il s'appelle Florian. Florian Mahogany. Mahogany signifie « acajou » en anglais. Je trouve ça très joli. J'imagine. Enki Mahogany. Est-ce que ça sonne bien ?
« Pas autant que Enki Escobar, me dit Adva. »
Je lui dis que je connais le nom de mon père et que maman le sait. Luis a téléphoné après mon coup de fil et la police m'a retrouvé en moins d'une heure. Et depuis, maman est déprimée et flirte avec une espèce de type bizarre qui a un tatouage en forme de scorpion dans le cou et des tas de boucles d'oreilles sur le lobe gauche. Elle a tué mon petit frère mercredi, et elle rentrée à la maison comme si de rien n'était, elle a retrouvé son copain et ils se sont saoulés tous les deux en fumant des trucs étranges dont l'odeur empeste toujours le salon et qui dessèche la bouche quand on la respire.
Je ne sais pas pourquoi je dis tout cela à Adva, alors que je la connais si peu.
« C'est parce que tu as confiance en moi, dit-elle.
- Oui, mais je ne sais pas pourquoi.
- Ecoute, je t'ai dit que j'avais un secret, tu te souviens ? »
Je hoche lentement la tête. Adva ramène ses longs cheveux noirs en arrière et regarde dans le vague, ses yeux de fer plongés dans le bitume. Déjà le cours de théâtre est sorti de ma tête et je ne pense plus à rien d'autre. Mon esprit est focalisé sur Adva, et sur les mots qu'elle s'apprête à prononcer.
« Si tu veux, je peux t'aider à trouver ton père, dit-elle. Tu n'as qu'à venir chez moi demain soir, on célèbrera halloween tous les deux.
- Je n'aime pas me déguiser pour halloween...
- Tu crois vraiment que je parle de ça Enki ? Nous allons convoquer les esprits. »