Fragment #3 – Misérable

Des filtres se superposent devant mes yeux. Des auréoles de lumières parsemées de tâches noirs. Ligaturées. Les fenêtres sont entrouvertes, l’air est humide, l’odeur des voitures éclaboussant les trottoirs se superpose au bruit moite de mes paupières redécouvrant leur mobilité.

Dix-neuf heure cinquante et une. Le premier.
Quand suis-je rentré de la mer ? Le mar de café sur la table basse et les cigarettes écrasées sur le tapis me rafraichissent un peu la mémoire.

Il y a encore du sable dans mes chaussettes, un coquillage fendu sur le bord de l’évier et mon reflet dissipé dans un miroir qui en a trop vu passer. Un rasage à l’eau chaude, sans mousse, sans baume et un plongeon dans les volutes de fumée à la lavande, une tasse de café à la main.

La chaleur de l’eau m’étouffe et le café me brûle de l’intérieur. Une clope à la bouche, je ressens mon corps, je l’apprends. Des parties endolories, d’autres lasses mais aucune sereine. J’essaye de retrouver le fil, de tomber sur l’équilibre que j’avais quitté pour quelques heures mais je ne fais que regarder du haut de la falaise. Je me remémore et c’est incessant. Inaltérable. Elle a une volonté extra-sensorielle qui me pousse de l’immensité de ses reins, la falaise est déjà loin en contre-bas, je suis encore plus haut. L’eau devient incontrôlable et elle continue de me soulever à distance. Je trébuche dans mon envol. Eclaboussements. Dernières secousses. Vibrations. Mon portable m’extrait de ma transe.

-Allô ?
-Anthyme tu étais où vieux ? C’est Christian.
-Il n’y a que dans les femmes que ça se dilue vraiment.
-Hein ?
-Tu sais, je crois vraiment que l’homme machiste a tout faux. On ne leur fait pas don de notre semence. Ce sont elles qui l’accepte. Car il n’y a qu’elles qui le peuvent. Et aucun récipient, liquide ou homme ne pourra jamais remplacer cela.
-Tu délires.
-Je l’ai vu, jeudi passé.
-Je sais. Alors, elle l’avait ?
-Oui. Je pense que c’est la clé que l’on recherche. Cette bague, n’est pas ce qu’elle semble être. Elle non plus d’ailleurs. Nous sommes misérables. C’est une falaise. Et jamais je ne pourrai combler toute cette profondeur. Que sommes-nous ? Que faisons-nous ? Nous sommes misérables Christian.
-Parle pour toi, et à l’avenir épargne moi tes réflexions bidons.
-Tu comprendras un jour, quand toi aussi tu seras celui qui est laissé derrière. Tu te découvriras. Misérable.
-Rendez-vous jeudi, et n’oublie pas les photographies de la bague.
-De la clé.
-Oh, de la bague-clé, fais pas d’histoire. Ciao.

Le bain souillé je prends une douche.
Une cigarette et je retourne dormir.