Fragment #551 - S'endormir

La fatigue cercle de fer mon crâne endolori. Sur mes yeux, les paupières raclent une buée de feu, et, quand je les referme, il me semble que des tambours battent en cadence dans le noir. Les branches et des oiseaux portent des ombres mouvantes sur le ciel très blanc, les bruits des voitures et des gens m'agressent et me tiraillent. Je passe la porte de notre immeuble et me réfugie à l'intérieur, dans ma chambre, là où les nuées toxiques et les cris sont plus ténus, dans l'obscurité placentaire, sous la couette épaisse. Là, mes pieds délivrés se rassurent et se frottent contre le matelas, je me blottis tout contre l'oreiller bien frais, j'y plonge mon visage fatigué. Des rêves entrent par mon esprit, ils s'éveillent et se dissolvent, et des anneaux de plombs tournent dans ma tête comme des orbites. Je me laisse doucement engourdir par ces douces ténèbres, songeant que mon corps en sortira bientôt revigoré par la magie du sommeil. Tout se délie lentement, les angoisses et les terreurs, le visage imprimé de Monika aux grands yeux brillants, ses gestes de lionne, sa voix nappée comme de la glace. Les anneaux de plombs s'écartent et laissent la place aux volutes de gaz couleur de sang, qui flottent dans l'immensité par-delà les constellations. Je me libère de mon corps de pierre, je pénètre à la fois en moi et à l'extérieur de moi, je me replie et me déplie à la fois. Les contours de mon esprit se déforment et je m'abandonne. Je ne sens plus rien, ni le poids des draps sur mon corps, ni le goût de l'air qui entre dans ma bouche, ni le flux du sang dans mes veines. Je me coule dans le néant, peuplé de chimères et d'oubli.