Fragment #121 - Deux frères, une soeur et un fantôme

Mon appartement est une décharge. Ou plutôt une version dévastée de mon appartement dans une dimension alternative. Les vêtements sales traînent par terre et sur le canapé. La vaisselle sale s'entasse dans le lavabo, sur le passe-plat. Il y a des fruits en train de moisir dans une coupelle. L'air est chargé de particules de poussières. Deux semaines que je ne m'occupe plus de rien. Jé est assis sur le sol en train de trier une pile de cds. Je le vois tourner les pochettes, à la recherche des dates. Les années de sortie des albums forment notre chronologie. Un cd ressort de la pile. Ten Rapid. Mogwai. 1997. Les premiers sons de Helicon 1 me ramènent des années en arrière, quand Jé et moi faisions de la guitare à deux dans le garage des parents. La vie était belle...
« Tout ça parce qu'elle t'a demandé d'être le parrain de son enfant. Dans l'hypothèse qu'elle tombe un jour enceinte.
- Oui.
- T'as vraiment un problème Damien. »
Je repense à cette journée où Claire m'a appris qu'elle voulait arrêter les études, se marier et fonder une famille. Ces mêmes rêves qui m'animaient des années auparavant, surgissant de la bouche de ma soeur. La voix de mes rêves. Claire, celle qui a repris les rênes de ma vie, aujourd'hui veut vivre les rêves de mon ancienne vie. Et cela m'a rendu fou de désespoir, me rendant à l'évidence. Jamais je ne vivrai tout cela. Le désespoir m'a mené à la rage. La rage, à la bêtise.
Je sais au fond de moi que Claire a pensé à tout cela. Elle me demandait juste la permission de vivre sa vie. De se détacher de mon cauchemar pour vivre ses rêves, identiques à ceux que j'avais avec Sofia. Elle voulait que je sois là, pour marcher avec elle vers la lumière. Et j'ai tout foutu en l'air.
Jé reste silencieux alors que je lui expose mes pensées.
« T'imagines que je ne connaîtrais jamais ça. Le seul endroit où j'accompagnerais Marie, c'est dans la tombe. Tu as la chance d'avoir encore ta sœur, et tes parents. Et ils ne t'accusent pas d'avoir tué ta sœur, eux. Alors, tu vas me faire le plaisir de prendre ton téléphone et d'appeler Claire. Je ne te laisserai pas détruire les liens avec ton sang. »
J'acquiesce de la tête et prends mon portable. Je laisse sonner. Le répondeur prend le relais. Je laisse un message et repose le téléphone sur la table basse. Mes mains tremblent mais je me sens soulagé.
« Un jour, faudra avancer Damien. Ça fait déjà trop longtemps. Ou alors, voir un psy ou quoi.
- Va te faire foutre. J'ai Laura désormais.
- Et tu crois que ça te mène quelque part ? Que cette relation te mène quelque part ? »
Je le regarde droit dans les yeux, cherchant à comprendre ce qu'il veut dire. Je lâche vite prise, m'abandonnant au doute.