Vendredi 12 mars 2010
à Kouandé
10h40. Le puits est en plein milieu du village. Au milieu d’une sorte de place. Au milieu du monde. Au milieu de tout. C’est étrange comme ici il n’y a rien, mais comme ce rien constitue un tout. Les rares arbres effeuillés, les pierres et cailloux remplissant le désert vallonné de sable qui nous entoure : ils font tout. On distingue au loin une colline, et à l’opposé une forêt. Droit au Sud il y a la mer ; mais on ne la voit pas. Trop loin. Pourtant d’ici, entre les cases, on a l’impression de voir l’infini.
Dans un quart d’heure on arrêtera de creuser. Après il fera trop chaud. Si l’on continuait de travailler il faudrait boire davantage pour se désaltérer, et comme l’eau est rare –pour le moment -, ici on travaille à la fraîche. Mais comme il n’y a pas non plus de lumière, on travaille quand il fait jour. Ce compromis laisse peu de temps par jour pour creuser.
L’après-midi est occupé différemment. Soit on aide aux travaux du village, soit on se repose en s’imprégnant de la culture, soit encore on part dans les villages autour pour ‘répandre la bonne parole’ comme dit le chef du village. En fait de bonne parole, ce sont surtout des conseils ; le puits pourra être utilisé par les habitants des villages aux alentours, il faut donc sensibiliser tout le monde ; les sensibiliser à une utilisation raisonnable de l’eau. Effectivement il y aura, selon les prévisions, assez d’eau pour tous, mais encore faut-il qu’ils la préservent. Nous sommes également là pour leur expliquer comment l’utiliser sans risques.
Cette après-midi Jon va me montrer comment se déroule une de ces réunions. Je prendrai des notes.
Jonathan est à peine plus petit que moi, mais il est bien plus sec. Je ne suis pourtant pas gros. Il ressemble à un bâton d’esquimaux qui aurait fondu au soleil. Des épaules larges, des bras, conséquents, mais rien au niveau du bassin ni des jambes. Il a les joues creusées, mais ça, on dirait que c’est naturel. Il est Belge, il vient de Liège -à côté, mais c’est « kif-kif », comme il dit-. Il a su m’expliquer rapidement en quoi consistait ma tâche. Il a presque trente ans, et effectue des séjours comme ceux-ci depuis cinq ou six ans. Il a commencé par aller en Inde pour la réfection d’un pont. Et depuis il voyage. Il aime ça. Il n’a pas de diplôme, et un jour il a décidé de tout plaquer, de partir loin. A l’entendre on ne croirait pas qu’il était incapable d’écrire ou même d’effectuer des divisions. Je crois que ces voyages lui ont créé une autre intelligence. Il s’est cultivé aux rythmes des rencontres, parce qu’il est loin d’être bête.
Nous partons à pied, Eva, Jonathan, Medhi –qu’Eva va remplacer- et moi. Le village n’est qu’à douze kilomètres, soit deux heures de marche. Je sue sous cette chaleur. Heureusement que c’est le début de l’automne. Je plains ceux qui sont venus en plein été.