Fragment #151 - Être soi

Et si je n'étais pas celui que je crois ? Et si, finalement, j'avais oublié ? Effacé de ma mémoire cet être trop sensible, plein de doutes et de questions pour le remplacer par ce fantôme fort et gonflé de certitudes.
Il fut un temps où je croyais en l'infini des possibles, où j'avais foi en mon avenir, où je pensais, malgré le fait que la vie soit un combat, qu'on pouvait se battre sans perdre un bout de soi. Il fut un temps où je croyais au prince charmant.
Aujourd'hui, je crois en rezog et gayrrier, je crois en la responsabilité et dans le fait d'assumer. Le seul et unique Dieu auquel je crois c'est moi et j'ai foi en la cruauté de mon prochain, source de toute douleur et de tout rejet.

Défiance, méfiance vis à vis de l'autre et vis à vis de la vie.

Est-ce que je suis plus heureux ?
Je ne pense pas.
Est-ce que je souffre moins ?
Oui.
La vie est-elle l'absence de souffrance ou bien la douleur fait-elle partie inhérente de la vie ?
Elle en fait partie.
Donc rejeter la douleur c'est rejeter la vie ?
Un peu.
Est-ce rejeter mon humanité ?
Un peu.
…

"On sort ce soir ?
- On est mercredi Thomas...
- Et alors ?
- Alors j'ai pas envie ce soir.
- Qu'est-ce que tu as de mieux à faire ?
- Me réapprendre peut-être.
- Hein ?
- Rien, je suis fatigué d'être moi ce soir.
- Tu m'étonnes ! Ça doit pas être facile tous les jours : être parfait en apparence, dans la surface des choses pour éviter de te confronter à toi même...
- Quoi ?"
Il s'assoit dans le canapé, à côté de moi et je sens déjà venir cette longue conversation que je voudrais éviter. Qui est-il pour me remettre en question ? Qui est-il pour venir me juger ?
"Écoute je pense pas que tu sois la bonne personne avec qui en parler. T'es plutôt mal placé pour faire des réflexions aux autres.
- Oui. T'as raison, mais je suis ton frère et quand tu merdes c'est mon devoir de te le dire.
- En quoi je merde ?"
Je voudrais rattraper cette question sortie un peu trop vite. Je voudrais ne pas lui avoir tendu cette perche.
"Oublie ma question."
Il m'ignore. Il a l'air si sérieux soudainement. Si adulte. On dirait presque qu'il se soucie de moi.
"Tu passes ta vie à te protéger des autres, de leurs regards, des reproches qu'ils pourraient te faire. En réalité ta vie est fonction de ce que tu crois que les gens vont penser. Tu ne fais aucun choix, tu laisses les autres choisir pour toi...
Bon aller je sors. Salut frangin."

Et voilà. Il est parti.
Et voilà. Il a raison.