Fragment #26 - I need to sleep

Je pourrais regarder pendant des heures les particules de poussières voler dans les rayons du soleil. Ces minuscules grains qui virevoltent joyeusement dans la lumière. Ils dansent tout autour de moi. Je suis immobile au milieu de tout ça. Le téléphone sonne. Celui de l’appartement. Je laisse l’appareil s’égosiller jusqu’au moment où le répondeur prend le relais. Une voix qui n’est plus la mienne sort du petit haut-parleur intégré. Bonjour, vous êtes sur le répondeur de Damien. Je ne suis pas là pour le moment alors laissez moi un petit message après le bip sonore. La petite sonnerie stridente raisonne fortement dans le salon. Puis un blanc.
« Coucou frérot. C’est moi. Juste pour te faire un petit coucou et te dire que j’ai enfin fini le bac. J’attends les résultats et je pourrais m’inscrire à la fac. Cool non ? Bon surtout rappelle que je parle à autre chose que ton répondeur à chaque fois. Bye-bye. Ah au fait, maman et papa te passent le bonjour. Salut. »
Petite sœur, si tu savais. J’ai fait un effort pour m’en sortir. Et j’ai eu en réponse ce que je méritais. La réponse de Suzanne a été cinglante et douloureuse, mais elle a raison. Il est effectivement trop tard. Je ne lui ai pas parlé lorsque nous étions ensemble. Je ne lui ai pas dit que je souffrais vraiment, que j’avais vraiment mal au plus profond de moi. Je ne lui ai pas dit lorsque nous nous sommes séparés que cela me rajoutait une souffrance aux autres laissées par la vie. Par la disparition de Sofia. Je l’ai laissée partir sans rien dire. Muré dans mon silence. Un silence de mort.
Le téléphone sonne encore. Je ne le décroche pas, le répondeur faisant son travail.
« Re. C’est encore moi. Claire. Dis c’est pour te demander si tu es là dans la semaine. Je passerais bien te voir un après-midi et peut-être même qu’on pourrait aller se faire un ciné. J’ai pas encore vu le denier Tarantino. Bon, dis moi quoi s’il te plaît. Au téléphone ou sur msn. Bisou. »
On verra petite sœur. Je ne sais pas ce que je vais devenir.
Je regarde autour de moi. L’appartement vide. Froid. En deux semaines, c’est redevenu mon bunker, la chaleur de mes parents et de Claire s’étant déjà dissipée. Il manque de la vie dans cet appartement. Tout est silencieux. Comme moi.
Il est trop tard. Ces mots me hantent. Me font mal. Ne dit-on pas que seule la vérité blesse ? Je suis en train de goûter à cette amère vérité. Il est trop tard pour arranger les choses. Pour parler. Pour continuer. Je devrais laisser tout s’éteindre en moi. L’acide qui ronge mon corps se réveille. La douleur est fulgurante.
Dans ma chambre, je retrouve la boîte où j’ai entreposé toutes les affaires touchant à Sofia. J’ouvre à peine la boîte que déjà les larmes montent. Les photos de notre vie commune sont toutes là. Ces mois passés à deux à nous construire, à partager, à s’aimer. Les sourires sur les visages. Il y a des vêtements, des bouts de papier, des lettres, et une peluche. Un petit ourson, bleu avec un petit nœud papillon blanc. Cela fait cliché. J’en sourirais presque. Je serre ce petit bout de tissu qui t’appartenait. Je te revois en train de dormir, ce petit être bleu sous le coussin. Tu n’étais qu’une enfant parfois. Mais en même temps, tellement adulte avec moi. Comme Claire. C’est pour ça que vous vous êtes si bien entendues.
Dans le salon, j’ouvre l’armoire où il y a les alcools. La bouteille de vodka. Un saut par la salle de bains et l’armoire à pharmacie. Retour dans la chambre. L’acide est là sous la peau. Dans mon sang. Prêt à me dévorer. Dans une main, la bouteille de vodka et dans l’autre, ce que j’ai trouvé dans la pharmacie. Les somnifères prescrit par le médecin il y a deux semaines. GlouGlouGlou. Tu avais raison Sue. Il est trop tard. Claire, j’aurais au moins essayé. Sofia… à un de ces quatre. Je ferme les yeux, serrant le plus fort possible la peluche. J’ai terriblement sommeil.