Fragment #43 - Ouvrir la boîte

Les pleurs ne se sont pas arrêtés. Déchirants. Ininterrompus. Noyant les mots dans la gorge, les empêchant d’être compris ou même prononcés. Les yeux rougis ne peuvent exprimés que souffrance, regrets, supplications ou désespoir. Le désespoir, l’anéantissement. Claire est anéantie. Ses pleurs n’ont cessé depuis hier soir. Mes parents essaient de la calmer, sans succès. J’entends ses plaintes depuis le salon, alors qu’elle est dans sa chambre. Sean est resté cette nuit, Julie jugeant bon de rentrer chez elle. Il est assis à côté de moi, me servant un verre d’eau de temps en temps ou m’amenant un fruit. Le temps semble s’être arrêté depuis que le paquet a atterri dans mes mains. La dernière fois que mes yeux se sont posés sur l’horloge du salon, il était quatre heures du matin. Un frisson me parcours tout le corps. Son origine est la main de Sean qui s’est posée sur mon épaule. Mon regard croise le sien. Dans ses yeux, je lis la plus grande sincérité que j’ai rencontrée depuis Jérôme. Je sais désormais que je peux le compter dans le rang de mes amis. Un ami qui est là, pour moi, à cet instant si douloureux. Serré entre mes mains, mon seul lien avec Sofia depuis un an. J’ai à peine ouvert le paquet. Je n’ai pas encore détaillé ce qu’il contenait. J’écarte doucement l’emballage, mais mon geste est stoppé par la voix de mon père. Lui qui s’exprime peu, qui a rarement fait utilisation de son autorité sur moi, me commande.
« Tu devrais parler à ta sœur. »
Je lance un regard à Sean qui hoche de la tête d’approbation. Je garde le paquet à la main tout en avançant vers la chambre de Claire. Ma mère est auprès d’elle.
« Laisse nous maman. S’il te plaît. »
Ma mère se tourne vers Claire qui acquiesce. Je referme la porte derrière elle. Claire est assise sur son lit. Elle pose son regard sur le mien mais le baisse aussitôt. Des longues minutes passent sans qu’aucun de nous deux décident de rompre le silence pesant. Je m’éclaircis la voix et déplie le bout de papier à lettre Hello Kitty de Sofia. Le même papier qu’il y a un an. Deux photographies l’accompagnent. D’abord, une vieille photo toute abîmée. Il y a une petite fille dessus, dans les bras d’une vieille dame aux cheveux tout blancs et frisés. Je reconnais dans les traits de la petite fille, Sofia. Elle a l’air d’avoir dans les six ans dessus. L’autre photo est une photo d’elle et moi lors de notre séjour à Prague, chez sa grand-mère d’adoption. Il y a de ça plus d’un an et demi. Au dos de cette deuxième photo, Sofia a laissé un mot. Je t’aime Damien. Cela ne changera jamais.
« Lorsqu’elle est partie l’année dernière, elle m’a appelé. Je l’ai rencontrée sur Valenciennes.
Elle m’a confié les clés de l’appartement, quelques papiers et m’a demandé de veiller sur toi.
- T’a-t-elle dit où elle est allée ?
- Non.
- Pourquoi ?
- Parce qu’elle ne savait pas elle-même où elle allait.
- Non. Je veux dire t’a-t-elle dit pourquoi elle est partie.
- Elle m’a juste dit que tu n’y étais pour rien. Que c’était à cause d’elle qu’elle devait partir. C’est tout.
- Pourquoi ne m’as-tu jamais rien dit ? Est-ce qu’elle te contacte ?
- J’ai parfois un mail. Et je ne t’ai jamais rien dit parce qu’elle m’a fait promettre. »
Elle aura tenu sa promesse effectivement. Il y a autre chose dans le paquet. Un carnet noir de notes. Je le feuillette vite fait, devinant qu’il me faudra bien plus de temps que ça pour prendre connaissance de tout le contenu.
« Tu m’en veux ?
- Je ne sais pas Claire. Je ne sais pas. Tu sais cette dernière année a été difficile. Et tu m’as caché tout ça pendant ce temps. D’ailleurs pourquoi m’as-tu donné ça aujourd’hui ? »
Claire se fige. A son expression, je sais déjà ce qu’elle va me répondre. Reste juste à l’encaisser.
« Elle est passée Dam. »