Fragment #56 – Réunion

Nous sommes tous réunis autour d'une table de café. Le même que lundi. Je n'ai toujours pas posé mes yeux sur autre chose que la personne en face de moi. La jeune Laura. Jé est assis à côté de moi. C'est un pro pour le son. Normal alors qu'il soit nommé ingé son. Il va travailler avec la fille assise juste à côté de lui. Une petite blonde, cheveux courts. Jolie en fait. Un visage angélique, des traits fins, des yeux en amandes, d'un bleu éclatant. Jé et elle ne se connaissent pas, mais le courant a l'air de passer.
« Bon, je vois que tout le monde est là. On va pouvoir commencer. Simon n'est pas là, mais on va pouvoir faire sans. »
Une ombre de colère contenue semblent passer sur les yeux de Laura. Il a du se passer quelque chose. Vrai que la seule fois où j'ai croisé son mec, il m'a bien donné l'impression d'un con bien lourd. Bref.
« J'espère qu'on va tous bien réussir à s'entendre et à bosser ensemble. Pour certains, vous vous connaissez déjà peut être, pour les autres, je vais faire les présentations. Tout d'abord, il y a mon assistant réalisateur, Christophe. »
Tout le monde se penche un peu sur la table afin de voir le grand maigre qui se cache derrière Laura. Un grand type, squelettique avec un air pincé. Il a pas l'air de savoir sourire celui là. Suivant.
« Là, c'est Anne, notre maquilleuse. Elle a déjà bossé sur pas mal de projets sérieux. Pour les photos des acteurs, t'attendras qu'ils soient passés par elle avant. Ok, Damien? »
J'acquiesce sans rien dire.
« Voilà notre photographe donc. Damien. Notre nordiste. »
La présentation continue. Jé, l'ingé son et Lucie, la petite boule de nerf à la prise de son. Les lumières sont assurées par deux types plutôt cool, genre rasta bien planant. On va tout de suite que ces deux là sont inséparables. Même dreadlocks, même style de fringues larges (et pas super clean en fait.), on s'attend, rien qu'en les voyant, à les entendre finir les phrases de l'un l'autre. Christophe à la caméra, calme apparemment, pro jusqu'au bout des doigts. Il a ramené sa caméra pour nous « montrer la bête ». Bon, pour ma part, petit point pour lui, c'est du Canon.
« J'ai fait le tour de l'équipe technique, je crois. J'ai oublié personne ? »
Toussotement. Une fille lève discrètement la main. Je suis sûr que personne n'avait fait attention à elle. Moi-même je l'admets.
« Eloïse. Je t'avais oublié. Excuse-moi. »
Elle sourit tout doucement. Encore un peu, elle se mettrait à rougir parce que Laura s'excusait.
« Eloïse sera notre script. Je compte sur vous pour être sympa avec elle. N'oubliez pas de bien lui signaler n'importe quoi au niveau technique, les changements de cassettes, les plans sur lesquels on bosse, etc... Vous voyez ça plus avec elle qu'avec Eric qui bossera en majeure partie avec les acteurs, je pense. »
Acquiescement de la part de Christophe. Les questions fusent un peu de tout les côtés. Une autre réunion est prévue, acteurs et techniciens réunis, vendredi. Jé sympathise avec Lucie apparemment. Je les observe quelques instants en silence. Ca me fait plaisir de voir mon ami aussi souriant. Depuis que je suis là, ce n'est pas la joie. Et puis, il y a eu ces soirées en Enfer. Rien que d'y penser me met mal à l'aise. Jé n'a rien à voir avec ça. Je ne l'imaginais pas arriver à tant d'extrémités. En le voyant en train de faire le rigolo devant Lucie et les autres, j'ai du mal à croire en cette part d'ombre...
« Ca va aller. On va bien travailler, et s'amuser aussi bien sûr. On se connaît tous un peu de vue, parce qu'on est quasiment tous en école de ciné, mais on va pas te laisser à part. »
Laura se tient debout à côté de moi. Sourire d'ange. Je ne peux m'empêcher de la fixer droit dans les yeux, de partir à la recherche de ce qui me fait tant penser à Sofia.
« Tu lui fais penser à son ex. »
Jé. Putain, qu'est-ce que tu me fais? Je ne l'ai pas senti venir ce coup là. Quand on était plus jeune, c'est toujours lui qui disait aux filles ce que je pensais secrètement d'elle. Mais là, non, pas ça. Par instinct, je baisse les yeux et commence à ramasser mes affaires. Je fuis.
« J'espère que c'est pas en mal au moins. Je ne voudrais pas que ça t'embête de bosser avec moi.
- Non, pas du tout. Ca ne le dérange pas. »
Au moins, sur ce point là, il ne se trompe pas.
« Parfait. »
Jé et moi faisons demi-tour pour partir. Une fois dans la rue, j'agrippe violemment Jé par le col.
« Tu me fais chier. Tu le sais ça. T'avais pas à dire ça. Tu n'avais pas à te mêler de ça. »
Il me regarde comme si ce que je disais était incompréhensible. L'acide me fait resserrer mon étreinte sur son cou.
« Tu débloques, Damien. Méchamment. Va falloir que...
- Ta gueule. Tu n'as aucun droit de me donner des leçons. Pas avec ce que tu fais.
- Ca ne te concerne pas.
- Alors pourquoi tu m'as emmené là bas ? Pourquoi m'avoir foutu dedans ?
- Quoi, t'es en manque ? Tu veux retourner y faire un tour ?
- Ferme-la ! »
Si je cède à l'acide, je lui fais exploser la trachée...
« Hey! Relâchez cet homme tout de suite. »
Je desserre aussitôt l'étaux.
« Qu'est ce qui se passe ici, messieurs? »
Police de mes deux. Jamais là quand il faut et toujours à fourrer son nez là où il faut pas.
« Rien, monsieur l'agent. Mon ami et moi sommes comédiens. Nous répétions une scène »
Jé se dégage. Je ne le lâche pas des yeux. Je pourrais le tuer d'un seul regard.
« Tu t'en sors bien, Damien. Excellent boulot. Monsieur le policier a vraiment cru que tu allais m'étrangler. »
J'allais le faire. Oui, j'allais le faire.