Procyon
| Sujet: Fragment #71 – Les frères tranquilles 12.04.08 12:05 | |
| Jeudi 10 avril 2008 à Dijon 10h13. Je me lève tranquillement. Je ne suis pas chez moi mais je connais très bien cet appartement. Alors même si je n'ai pas les yeux bien ouverts, j'attrape sans difficulté un bol et y verse du café. Je fais comme chez moi. C'est presque chez moi. Mon deuxième chez moi. Florian est là, face à moi, il bosse sur son ordinateur sur la table. Il me regarde et sourit. Je dois avoir de la confiture ou quelque chose d'autre parce qu'il sourit à chaque fois qu'il lève la tête. J'ai évidement dormi chez Lilian, parce que je ne pouvais plus rentrer en bus, et ne voulais ni rentrer à pied ni déranger mes parents. Effectivement j'en avais juste au coin de la bouche. Lilian s'est levé tôt, il avait cours à 8h00 ce matin. Je l'ai entendu se lever. « Tu t'entends bien avec Lilian à ce que je vois. Vous vous connaissez depuis quand ? » En fait je crois que ça faisait bien longtemps que je ne l'avais pas entendu parler. Je réponds un peu surpris par la question, je croyais qu'il savait. « Nous nous sommes connus en seconde, on était dans la même classe. Et jusqu'en terminale. Mais ouais on s'entend vraiment bien. J'ai deux frères et une sœur que j'adore, mais lorsque j'ai envie de parler c'est de suite vers lui que je me tourne. - Vous avez été où hier soir ? - Chez Lola, l'ex de ton frère. Voir ta nièce, elle a bien grandi depuis la dernière fois que je l'avais vue. - Ok. » Il se replonge dans son travail. « Et vous ? dis-je la bouche pleine. - Nous quoi ? - Ben vous vous entendez bien tous les deux ou pas ? » Il paraît gêné. « Oui. Entre frères on se chamaille, et en grandissant des fois ça devient un peu plus délicat. Et puis on vit ensemble donc c'est pas toujours facile de cohabiter. Surtout moi qui avais l'habitude de vivre en couple. Je me retrouve à dormir dans la chambre à côté de mon frère. Ça fait du changement. Mais ça va. On est pas super proches c'est tout. - Tu sais pourquoi ? - Non, mais je dois y aller, dit-il en feignant de regarder sa montre. » Il se lève, referme son ordinateur, prends un manteau et sort de l'appartement. Je termine de déjeuner, et vais me laver. Sous la douche je repense à la discussion que je viens d'avoir avec Florian. Je n'ai posé cette dernière question que pour continuer la conversation, mais il a paru si mal à l'aise. J'ai eu une étrange sensation quand il m'a regardé pour répondre. J'ai eu l'impression de déranger, comme si j'avais forcé la porte de son intimité. Ça m'en donne des frissons. Je monte la température de l'eau qui me tombe dessus. Je n'ai pas du tout envie de rentrer chez moi maintenant ; alors une fois sec, au lieu de prendre mes affaires et partir, je passe l'aspirateur et range un peu l'appart. Je suis un peu chez moi. Devant la bibliothèque je m'arrête pour choisir un livre. Il n'y a que deux rayons, mais le choix n'est pas si facile. Mes yeux se portent sur L'écume des jours de Boris Vian. Lilian m'en a parlé l'autre jour, il a adoré. Me jetant sur le canapé j'ouvre l'ouvrage et lis. Les lignes des premières pages me captivent. Et je suis très surpris de voir Lilian arriver. Le temps est passé vite, il est déjà midi et demi. Il est content que je sois resté, il n'avait pas envie de manger tout seul, et Robin passait la journée à Galieni sans même manger. Nos spaghettis dépassent de nos bouches, c'est tordant de rire. Mais ses origines italiennes font de lui un bien meilleur mangeur de spaghetti que moi. Alors il sourit à chaque fois qu'il lève les yeux. « Tu t'entends bien avec ton frère ? dis-je innocemment. - Oui. Très bien en général. Mais là tu sais il est à Paris et on se voit pas beaucoup. - Je parlais plutôt de Florian. - Ah ! dit-il avec le visage qui s'assombrit à vue d'oeil, ben on vit ensemble c'est qu'on doit pas s'entendre si mal que ça. - D'accord, mais t'as pas l'impression qu'il y a une distance entre vous qui n'est pas normale entre frères ? - Bon... » Il se tait un instant, me regarde droit dans les yeux, avant de reprendre : « Il y a trois ans, je suis parti en vacances avec Flo et des potes à lui, on campait. En fait à ce moment là je commençais seulement à faire connaissance avec ma sexualité. Il y avait parmi nous un type qui s'appelait Thomas. Il était très gentil avec moi, il avait des attentions particulières. C'était le genre hétéro et bogosse, tu vois. Il était de nous six le plus appétissant. On dormait l'un à côté de l'autre dans la tente. Je sentais son souffle dans mon cou en m'endormant. Et souvent dans la journée il passait la main dans mes cheveux. Là où il caressait un chien, moi je voyais une marque d'affection. Je me suis un peu fait des films avec ce mec. Mais je les gardais pour moi. Pourtant une nuit, après une soirée où j'avais un peu bu, j'ai cru que c'était un rêve, je réalisais mes fantasmes comme chaque soir et je me suis mis à le sucer. Malheureusement c'était pas seulement dans ma tête et le gars s'est mis à hurlé quand il a vu ce que je lui faisais. Il m'a traité de sale pédé en m'attrapant les cheveux. J'ai eu droit à d'autres injures du genre. Et écopé également de quelques coups de pieds, de la part de ses potes. J'ai été choqué mais heureusement Florian m'a défendu. Ils voulaient me faire des trucs horribles. J'ai tout de même dû terminer la nuit dehors, et nous sommes partis Florian et moi dès le lendemain. Il n'a plus jamais vu ses potes et m'en a voulu pour ça. Dans la voiture, il n'a pas dit un seul mot. Arrivé à Dijon, il à seulement dit « On n'en parle jamais à personne de ce qui vient de se passer, et je veux plus te voir traîner vers moi. C'est compris? ». Forcément ça a jeté un froid. Mais on en parle jamais, d'ailleurs je ne l'avais jamais raconté à personne, et entre Flo et moi ça s'arrange petit à petit. Le fait que l'on vive ensemble nous a plus rapproché qu'il n'y paraît. » Je l'écoute religieusement. Sans dire un mot, sans faire un bruit. M'étant même arrêté de manger. Bruit de clé dans la serrure. C'est Florian qui rentre. Nous changeons de sujet de conversation. J'étais loin de m'imaginer ça. | |
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