Altaïr
| Sujet: Fragment #30 - Un verre de frais 09.04.08 16:26 | |
| Vendredi 16 juin 2006 à Dijon Je suis en équilibre sur l’eau. Le bassin rectangulaire et lisse se déploie sous mes pieds chaussés de lanières de cuir. Les nénuphars tremblent un peu. Dans le ciel, Râ nous écrase, tyran solaire. Anubis me regarde, immobile. Il m’a retrouvé. Mes pieds sont posés sur l’eau, sa surface de verre. Anubis ne pourra pas me rejoindre ici. Ai-je acquis des pouvoirs christiques ? N’oublies pas que tu rêves… ici tout est possible. Anubis fait un pas en avant, renâclant, son œil rouge et fin fixé sur moi. Il va tenter, lui aussi, de marcher sur l’eau, mais il ne pourra pas. Je tente de l’en empêcher. C’est moi le rêveur, moi qui décide si oui ou non il pourra m’atteindre, et je ne le veux pas, je ne le permettrai pas. L’eau va fuir son poids de dieu chacal et l’engloutir dans ses profondeurs. Mais plus je lutte pour qu’il s’enfonce dans l’eau, plus une autre partie de ma volonté, sournoise, l’aide à solidifier le liquide. Son pied se pose sur une vaguelette. Non, aucune partie de moi ne veux le voir s’approcher, c’est impossible. Je sens la chaleur moite, la pierre qui suinte et qui tremble. Un frisson noir dans le ventre. Réveil en sursaut. Tout va s’effacer, mais cette fois je ressors mon carnet à songe, enfouis sous les livres qui s’entassent sur ma table de chevet, et je griffonne quelques images confuses. Il est presque midi. Pourquoi toujours ce rêve avant mon réveil ? Et pourquoi fait il si chaud ? Je vais prendre un verre de lait, un grand verre, bien frais. Le verre de lait du matin, avec un peu de sirop à la fraise. Le verre qui rafraîchit, et qui donne mal au ventre après. Toujours cette lourdeur dans ma poitrine, comme un surplus de bile et d’humeur haineuse. On tente de faire abstraction. Je croise mon regard dans le miroir et l’évite. Pas le temps de lutter. Le temps commence à accélérer. Je descend jusqu’à mon petit palais de la gourmandise pour m’acheter une pâtisserie. Les odeurs de ses sirènes de sucres et de pâte d’amande sont des cris qui m’allèchent. Une vibration contre ma cuisse. C’est un message de Nalvenn.
Nous partons pour Paris,on dormira chez le cousin de Seb,Nathan.Le train est à 00h53(moins cher).Viens avec nous Julian,ça te fera du bien.Bisous.Nalvenn.
Je réprime un sourire dédaigneux. Qu’irais-je faire là-bas, et qui est ce Nathan ? Je ne le connais même pas. Tu délires ma pauvre Nalvenn, tu délires complètement. Je n’ai pas l’intention de débarquer chez ce type, que je ne connais même pas, et… et puis quoi ? Merde Nalvenn, je n’ai même pas envie de te répondre. Casse toi à Paris avec ton fiancé à la con et foutez moi la paix ! Le croissant, dans ma bouche, a un goût amer. Partir en pleine nuit… quelle idée… Le temps, encore, accélère. Il est un peu plus de seize heure. Je somnole dans le parc Darcy, parmi cette foule d’amoureux qui s’embrassent langoureusement, ces garçons et ces filles roses et sucrés qui font tourner leur langue avec plus de célérité que des machines à laver. Je n’ai pas ma place ici. A Paris non plus d’ailleurs. Où est-elle, bon dieu, ma place ?! Bouillonnant, de sang et de sueur, je retourne m’enfermer dans mon temple du sommeil. Mon corps est moite et je me précipite sous la douche pour apprécier sa fraîcheur salvatrice. L’eau ruisselle sur mon corps et dans mes cheveux, des rigoles se forment sur les courbes de mon visage, dans le creux de mes yeux, sur ma bouche qui s’entrouvre pour dérober quelques perles et s’en délecter. Je suis un insecte, j'aime le frais et l'humide. Ici, personne ne distingue mes larmes de celles du pommeau, pas même moi. Il est presque minuit. La nuit m’enveloppe de ses embruns. J’ai ouvert la fenêtre, relevé les stores vénitiens. Je veux chasser de mon appartement cet air irrespirable et toujours si plein d’elle. Le vent s’infiltre et fait son œuvre. On frappe à la porte. Déjà je comprends que Nalvenn n’a pas pu résister, elle est venue jusqu’ici pour m’enlever à mes ténèbres et m’embarquer avec elle. Quand comprendra-t-elle que je ne veux pas ? (à moins bien sûr, qu’elle n’aie compris, bien mieux que moi en cet instant, qu’il lui suffira de peu d’insistance pour me faire ployer, tout mon être n’aspirant qu’à être sollicité encore une fois pour rejoindre la capitale, Paris, ville dont je rêve depuis…) J’ouvre la porte et me retrouve face à Jill.
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