Altaïr
| Sujet: Fragment #35 - La Foule 09.04.08 16:38 | |
| Jeudi 22 juin 2006 à Paris Encore une paresseuse journée, en tailleur sur un muret qui borde le fleuve. Le crayon à papier qui court sur le cahier, slalome entre les lignes, et répand ses courbes noires et vivantes. Oui, vivantes, je crée de la vie par ce ballet de boucles carboniques, un monde sensible et organique en mouvement. Des méandres, des ruisseaux, mon écriture…Et la Seine, qui transporte ses eaux ocres. Je recrée la foule, cet amas grouillant de tabernacles de chair. Millions de consciences happées par la vapeur des sons. Je reçois un appel de Maman. Oui, tout va bien. Oui, je mange bien, ne t’en fais pas. Florian ? Bien passe le moi alors. « Salut frangin ! s’exclame mon aîné dans l’appareil. Tu vas bien ? Quel temps y fait chez les parigots ? Tu as fait la fête de la musique hier ? » Ca c’est Florian. Cette manie de poser trop de questions d’un coup, si bien que l’on ne sait à laquelle répondre en premier. Je revois la foule, la foule en marche, ivre d’été… « Nous c’était nul à Dijon. Quand je repense à quand papa nous y emmenait, gamins, c’était autre chose. Y avait des groupes dans toutes les rues, maintenant il n’y a plus que des tables de mixages, des enceintes, et la musique des radios. J’exagère, tu te doutes bien. La petite a beaucoup aimé les cracheurs de feu, par contre. » Le feu, le feu qui nous anime, qui nous guide. La foule, mystérieuse entité. Myriade de grains de sable, dune pensante. Nos pieds nus foulerons le sable de l’été… « Alors je me suis dit que ce n’était plus vraiment la fête de la musique. Peut être qu’on devrait parler de fête de l’alcool, de la drogue, ou je ne sais pas quoi. Des conneries de lycéens tu vois. - La fête de l’été, dis-je. Le grand solstice. » C’est ça. Nous célébrons le passage de notre pays dans sa phase saisonnière la plus chaude, la plus attendue, celle au cours de laquelle nos corps tremperont au soleil, s’amolliront et cuiront. Bien dorés, nous seront des anges, une foule d’anges ivres d’été. Et nous marcheront ensemble, foule foulant le sol brûlant, des foulards dans nos cheveux libérés au vent. Nous danseront sous le ciel de sable bleu, nos pieds heurtant la terre sèche et craquelée dans un grand fracas, une tempête de jambes et de pieds martelant le sol, brume de poussières chaude. Le crayon à papier court sur le cahier, il ne peut plus s'arrêter... Et la Seine, à mes côtés, charrie encore son encre ocre.
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