Fragment #34 - Première approche...

J’aspire un grand coup. C’est con, j’ai les mains qui tremblent un peu. Je serai plus crédible ainsi. Je me mets dans mon rôle. Je pense comme leur Léopold. Je deviens humain, métamorphose incroyable et contre-nature. Je me transforme en Léo, prénom que même mon père emploie peu.
Dernière détente, je repense au cours de maths qui vient de s’achever, puis je me lance. J’avance d’un pas d’abord décidé, puis soudain hésitant, au fur et à mesure que je me rapproche du groupe, dans lequel trois visages se sont déjà tournés vers moi d’un air à mi-chemin entre la curiosité et l’animosité. Finalement, quand je m’immobilise devant eux, ils se sont arrêtés de parler depuis quelques secondes et me fixent tous.
Alexandre ouvre la bouche, et commence à parler, mais Marie fait un pas vers moi en le coupant.
« Qu’est-ce que tu veux ? »
Je retiens un sourire de triomphe ; c’est comme si déjà c’était gagné, elle a pardonné tout ce que j’ai pu faire, elle est prête à intégrer la nouvelle personnalité que j’ai forgée spécialement pour elle.
Je me mords la lèvre inférieure en regardant vers le sol d’un air gêné. Je sens son regard toujours posé sur moi, et, derrière, ceux des autres. Elle essaie de comprendre, elle doit être partie dans des délires s’imaginant qu’enfin je vais demander pardon. Elle n’a d’ailleurs pas tort. Pas totalement du moins.
« Léo ? »
C’est mignon.
« Euh… tu peux venir deux secondes, s’il te plaît ? »
Attention, le grand moment va se jouer. J’avale ma salive. Elle fronce les sourcils, intriguée, mais je vois au fond de ses yeux des étincelles s’allumer. Elle a gagné, se dit-elle ! Elle s’excuse auprès des autres, qui, eux, n’y croient pas, et marche vers moi, me dépasse. Je me retourne et la suit. On s’immobilise un peu plus loin.
« Qu’est-ce que tu veux ? »
Deuxième fois que tu dis ça. Je fais mine d’hésiter, d’être gêné. Ce n’est vraiment pas évident à tenir. J’ai envie de l’insulter, presque. Comment peut-elle être aussi bête ?
« Je… c’est pas facile à dire… »
Elle se met à respirer un peu plus vite.
« Je regrette mon comportement depuis le début de l’année… je ne fais pas exprès, je suis comme ça, depuis… »
Ma voix se brise. Je m’impressionne. Elle a déjà fondu sous l’excuse, elle est prête à tout pour que je devienne humain. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi elle se soucie ainsi de moi, pourquoi elle ne se fout pas du fait que je me moque d’eux tous.
« Pas la peine de dire la raison, Léo. J’étais sûre qu’il y avait quelque chose comme ça. »
Je déglutis encore, comme si j’étais soudain rassuré. Je lève la tête et la regarde avec des yeux emplis de reconnaissance.
« J’aimerais… essayer… je voudrais… »
Je me tais. Son imagination a déjà complété ma phrase. La sonnerie retentit, coupant ma phrase.
« Tu te mets à côté de moi en cours ?
- Ca ne va pas gêner Alex ? »
Elle me sourit. C’est trop simple, presque.