Altaïr
| Sujet: Fragment #38 - Lourdeur 09.04.08 16:53 | |
| Vendredi 30 juin 2006 entre le Kremlin Bicêtre et Paris Déambulation dans Paris, de place en avenues, de jardins en arrondissements. Il fait chaud. La moiteur imbibe l’air et les corps, suinte et coule, roule et dégouline. Il fait chaud. Voilà des mois que nous nous plaignons du froid, mais voilà le soleil – Râ ou Amaterasu ? – bel astre lion au cheveux de lumière et nous regrettons avec amertume la morsure de l’hiver. Ici tout est lourd, oui, empli d’une lourdeur qui pèse et écrase tout, ici. A tel point que je ne saurai dire si cet état de pesanteur est extérieure ou intérieure à moi. Je marche, entre les gens, à même la foule qui m’effleure. Tabernacle pris au piège du cours de la multitude, emporté par ses angoisses (leurs angoisses ?) avec l’amer sentiment de l’inexorabilité. C’est l’ultramoderne solitude… Tant de lourdeur. Un poids énorme. Je me sens Altas, écrasé par le monde, par moi-même. Et il y a toutes ces pensées en moi, qui purulent noirâtres, de la pensée-mazout. Ca émet un léger clapotis visqueux, insupportable, d’un bout à l’autre de ma boîte crânienne. Alors je déambule, dans Paris, je me laisse entraîner par le mouvement des foules, spectre sans consistance. Faites du bruit, écrasez moi sous vos sons, que je n’entende plus ce bruissement gluant dans ma tête… Je rentre à l’appartement, la tête lourde. Nathan est sur son ordinateur, il discute avec un certain Jed. Prénom étrange qui attire mon attention. Je regarde la photo du type en question, un garçon assez jeune, et plutôt bien fait, dont le regard me brûle. Son pseudo m’intrigue : « je ne suis pas encore assez bas ». C’est terrible, tout à coup, de prendre en compte les milliers, les millions, les milliards de vertiges qui hantes nos milliards de consciences. Ca aussi, c’est écrasant. Nathan me lance un regard, de ses yeux remparts qui ne trahissent aucune émotion. Je comprends qu’il ne me laissera pas lire ainsi derrière son épaule, et je vais m’asseoir sur le canapé. Le silence, comme un voile rabattu soudainement sur nous, à peine troublé par le cliquetis des doigts de Nathan parcourant son clavier, me submerge de sa pesanteur. Il se dresse, avec la rigidité de quatre parois d’une cellule capitonnées. Dès lors, mes pensées piégées hurlent en chœur pour leur délivrance, me plongeant dans un tel tumulte intérieur que mon cœur s’emballe, se pince, que mes larmes coulent sur mes joues. Des visages tout à coup, s’inondent… Vite, réprimer les sanglots, les étouffer avant qu’il ne les entende. Je m’allonge sur le canapé et rabats mon visage contre le cuir. Ma respiration se bloque mais, trop tard, Nathan s’est levé et s’approche de moi. « Qu’est-ce que t’as ? me demande-t-il. - Rien, rien, ça va, réponds-je d’un air aussi peu crédible que possible. » Nathan ne bouge plus, il me regarde. J’essaye de faire un effort, je me relève et essuie mes yeux dans ma manche en me griffant les paupières au passage. « Tu es sensible, me dit Nathan. - Heu oui, et alors ? Ca ne t’arrive jamais de pleurer ? - Si. Mais je parlais de ton carnet que tu as laissé traîner ici aujourd’hui. J’ai jeté un coup d’œil dessus en rentrant. C’est sombre, on sent que tu es un mec sensible. - Je ne sais pas bien qui je suis. Ca dépend souvent du moment. Je m’y perd un peu, des fois. - Ici personne ne te connaît. C’est pour ça que Nalvenn et Seb voulaient que tu restes. Profites en pour être toi, pour faire ce que tu as envie de faire sans te soucier des autres. D’accord ? » Je ne réponds pas, mais l’infime mouvement de mon visage laisse entendre que je ferai mon possible pour suivre ce conseil. Nathan s’éloigne, mur de fierté ou de discrétion, je ne saurai dire. Etre moi ? Ce que j’ai envie de faire ? Si il savait… J’ai envie de vivre, de m’envoler, de m’amuser en profitant de mes dix neuf ans, sans réfléchir au futur ni au passé, vivre au présent, me mettre en danger, être jeune. Mourir, peut-être. Ou vivre, tout simplement. | |
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