Bételgeuse
| Sujet: Fragment #33 - Une lettre 12.04.08 20:20 | |
| Dimanche 13 août 2006 à Dijon L’angoisse de la page blanche. C’est comme ça que l’on dit, non ? Mon stylo navigue entre mes prémolaires droites. Puis, guidé par ma main, il va se cogner contre mes incisives, puis ma langue s’y enroule, finalement il revient sur le devant de mes lèvres.
Je ne me sens toujours pas d’attaque pour bouger de mon lit. Je me suis encore endormie sur le canapé de Romain, et je n’avais pas aussi bien dormi depuis bien longtemps ! Je souris encore au souvenir de ce qu’il m’a dit… « Je ne voudrais pas te mettre à la porte, mais j’ai un cadeau à acheter pour ce soir, et je ne pense pas qu’il soit très conseillé pour toi de sortir… » Je l’ai regardé avec les yeux ronds, avant de lui rappeler qu’on était dimanche. Il a eu l’air complètement effaré. Pauvre petit gars paumé. Je suis ensuite remontée, et comme je suis clouée au lit, il a bien fallu que je trouve de quoi m’occuper.
Mes yeux glissent pour la énième fois sur les premiers mots tracés par ma main hésitante. Querida Mama,
C’est tout.
Comment aller plus loin ? Lui mentir ? Une petite voix dans ma tête me hurle que ce ne serait pas bien. Tout lui raconter ? La drogue, le sexe, l’alcool ? Les angoisses, les regards, les larmes ? Comment pourrais-je m’y résigner ? J’aimerais tant qu’elle soit fière de sa plus grande fille, celle qui est venue en France en remontant le fil de ses origines paternelles. Querida Mama,
Je ne peux pas te raconter.
Un jour, il faut l’espérer, je te dirai à quel point ton mari était un salaud, et à quel point la cocaïne est douce. Tiens, c’est la première fois que je l’appelle ainsi, d’habitude j’en parle à demi-mots, ou au pire j’emploie son petit nom. Ma douce, si douce coke… Je te raconterai les délires créés par la drogue et l’alcool, et si tu me le demandes, je te raconterai même les nuits passées en compagnie de parfaits inconnus pour quelques billets. Je te raconterai la fierté que tu m’as léguée, je te raconterai les crises et la culpabilité.
Un jour, je t’expliquerai, Mama, mais pas maintenant, pas par l’intermédiaire de ce stylo et de cette feuille blanche.
« Ma chère Maman, J’espère que tout va pour le mieux. Embrasse Paula et Cristina de ma part. S. » | |
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